À leur arrivée les serviteurs dévalèrent les marches du perron et se ruèrent dans la cour, alertés par le bruit de la charrette.
– Milady va bien ? Demanda Ronald.
Cassandre se rendit compte qu'elle n'avait jamais vu le majordome du château autrement qu'inquiet.
– Je n'ai rien Ronald.
– Vous êtes certaine de ne pas être encore tombée... dans une fosse à purin ? Il se pinça le nez.
– Ronald ! s'exclama-t-elle amusée.
Christine, lorsqu'elle vit dans quel état se trouvait sa maîtresse qu'elle avait apprêtée avec tant de soin avant sa balade à cheval, s'évanouit.
C'est ce que faisaient les jeunes filles anglaises sensibles visiblement.
Cassandre n'en faisait décidément pas partie, il lui arrivait bien sûr de faire semblant si un commissaire était présent par exemple.... Elle lança un regard suspicieux à la ronde. Aucun membre des forces de l'ordre à l'horizon.
Elle sauta au bas de la charrette et donna des ordres. Elle voulait un grand baquet remplit d'eau chaude.
– Mais on n'en a pas d'assez grand, déclara l'un des deux George.
– Sornette, vous allez aux écuries, vous prenez un des abreuvoirs. Vous me le récurez et plus vite que ça. Je veux aussi une vieille couverture que l'on pourra jeter pour le couvrir en attendant dit-elle en désignant la charrette.
Les serviteurs présents se jetèrent des œillades les uns les autres et leurs expressions allaient de la stupéfaction à la consternation pure et simple. La jeune lady avait perdue l'esprit elle aussi, comme la précédente lady Blake.
– Artie tu restes près de lui. La petite chienne posa une patte apaisante sur la tête du malade qui regardait, paniqué, la meneuse s'éloigner.
Cassandre se mit à courir aussi vite que son amazone le lui permettait, ce qui était bien plus vite que ce qui était autorisé à une dame. Elle s'engouffra dans la cuisine et demanda à Marcel un plat de gruau.
Il la regarda lui aussi, comme si elle avait perdu la tête.
– Pas pour moi pour un chien malade.
– Oh ! Alors je vais lui mettre du sang de rôti dedans pour le requinquer !
– Bonne idée Marcel ! Vous êtes un génie.
Elle se précipita ensuite dans le cellier, puis dans la cave, poussa l'étagère qui cachait l'entrée du souterrain...
Elle la sentit plus qu'elle ne la vit.
La présence se dressait sur son chemin, prête à la faire tomber le long de la pente de ce corridor humide. D'où elle était, la jeune femme sentait ses intentions malveillantes.
Elle n'avait pas le temps pour ces petits jeux.
Elle n'était pas d'humeur, la vie du chien était dans la balance.
Sa colère monta, elle la sentait dans sa gorge, elle escaladait son larynx, plantant ses griffes, millimètre après millimètre. Puis elle se libéra. Son corps entier fut secoué par un grognement qui grandit, nourrit par la fureur et se changea en un hurlement d'animal déchaîné.
Ce n'était pas l'Appel du meneur de loup. Ce n'était que de la rage. Qu'elle vienne ! Et l'on verrait si les morts peuvent avoir le dessus sur elle.
Le cri se répandait. L'écho le dédoubla quand il frappa les voûtes, lui donnant l'ampleur d'un raz de marée. Les chauves-souris, dérangées dans leur sommeil diurne s'envolèrent et se précipitèrent vers la sortie. Cassandre les ignora, elle avança droit devant et traversa la présence qui figée, garda cette fois pour elle ses intentions nuisibles.
À l'extérieur, les gens de Churbedley, après un hurlement à glacer le sang qui les fit trembler comme des feuilles, purent profiter du spectacle d'une nuée de chauve-souris s'échappant des entrailles du château et s'élançant à tire d'ailes vers les bois.
Cette fois-ci, il y eut une épidémie d'évanouissement dans la cour.
Le comte, qui veillait dans le "hall de la porte des limbes" sorti de la pièce, paniqué, jamais il n'avait entendu un son pareil, pas même de la part de son meilleur ami décédé.
– Qui y a t'il mon enfant ? Un danger ? Ces hommes en noirs nous attaquent-ils ? Demanda-t-il en la suivant.
– Rassurez-vous. Nous sommes en sécurité, du moins autant qu'on peut l'être dans un château hanté.
– Mais pourquoi avez-vous... crier ne me semble pas le terme adapté ?
– Votre ancêtre commence à m'agacer beau-papa. Et je n'ai pas le temps. J'ai besoin de valériane.
Elle entra dans le laboratoire des Blake qui se trouvait dans une salle à côté du hall. Comme tout ce qui se trouvait dans les souterrains de Churbedley cette pièce suintait, les parois étaient couvertes d'une fine couche de mousse mélangée à du salpêtre blanc sale qui teignait les murs d'une palette infinie de vert. À la lumière tremblotante des flammes, des visages et des corps s'animaient dans la mousse. Dans les ténèbres se dessinaient des paréidolies, étaient-ce des illusions d'optiques ou la porte des limbes, si proche, crachait jusqu'ici son venin? Comment savoir dans cette demeure ? Un mouvement perçu du coin de l'œil partout ailleurs serait ignoré, vite oublié, mais ici... toutes les ombres pouvaient être plus que des ombres.
Des bocaux remplis d'herbes, de poudres, de pierres, de liquides aux multiples couleurs s'alignaient avec ordre sur une série d'étagères espacées du mur de plus d'un mètre. On trouvait un grand fourneau en fonte au centre de la pièce, une multitude d'alambics divers et variés, des pilons en bois, en pierre, en bronze, en or, posés sur une longue table de chêne scarifiée depuis des centaines d'années par des générations de Blake... Elle s'empara d'un mortier rustique et saisit plusieurs pots en verre. Elle en ouvrit un, renifla l'intérieur.
– Je peux savoir ce que vous faites ? L'interrogea le comte.
– J'essaie de sauver le dernier membre de ma meute.
Elle lui raconta sans cesses de s'activer comment elle avait trouvé l'immense chien au milieu d'un tas d'ordures.
– Et vous pensez pouvoir le guérir ?
– J'ignore si j'en suis capable, mais Horos préparait cette mixture quand l'un de ses chiens allait mal. Il y mettait du datura. Je vais mettre de la morelle, c'est moins puissant. Si mon chien survit, nous verrons s'il est temps de passer au poison plus fort.
Jordan était visiblement sceptique mais il ne voulait pas gêner sa concentration.
Elle prit une pincée de morelle noire qu'elle broya avec du thym et de la valériane... elle ajouta de la prêle, des orties...
Jordan suivait le manège de sa belle-fille avec attention et nota la vingtaine d'ingrédients de la mixture.
– Ça m'est revenu d'un coup, finit-elle par affirmer en brisant le silence. C'est étrange ! Hier encore, je fouillais en vain dans mes souvenirs.
– Horos vous a montré bien plus de choses que vous ne le pensez. Vous étiez si jeunes Arcas et vous que vous n'en avait tout simplement pas conscience.
Elle sortit de la poche de sa robe un petit couteau dans son étui de cuir et les lettres qu'elle avait récupérées à la poste.
– Tenez tant que j'y suis. Elle lui tendit la pile de lettre. Il se peut que le fumet ne soit pas des plus agréables.
– J'allais vous en faire la remarque, jeune fille.
– Nous sommes à cinq jours de la pleine lune.
Elle s'entailla le doigt et fit goutter un peu de sang sur la potion.
– Cela devrait suffire, j'espère ne pas me tromper.
Elle rajouta un peu d'huile et d'eau et porta le mélange à ébullition.
– Maintenant, l'instant de vérité.
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Quand les loups se mangent entre eux
Fantastique1854 Les jumeaux Cassandre et Arcas sont des meneurs de loups. Une hérédité dont ils se seraient bien passés. Elle vient de couter la vie à leurs parents, assassinés par de mystérieux hommes en noir, possédant des pouvoirs surnaturels qui même à l...