Chapitre 64 (Partie 2)

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Pour rejoindre le quartier Eyüp, il lui fallait traverser la Bosphore.

Pour cela, Diane devait rejoindre la rive et trouver un bateau qui l'accepterait à son bord, et cela pour un prix raisonnable. Il n'était pas dit que les Bergman l'accepteraient sous leur toit et dans ce cas, il lui faudrait trouver un autre logement, un hôtel, une auberge, une maison d'hôtes.

Elle se sentait complètement désorientée, elle n'avait quasiment pas quitté l'hôpital depuis le départ d'Arcas pour la Crimée. L'occasion faire du tourisme ne s'était pas présentée. Et les infirmières arrivées avec Florence Nightingale étaient beaucoup moins curieuses de découvrir la ville si exotique de Constantinople que ne l'avaient été les premières volontaires. Le résultat était le même, elle n'avait pas mis le pied dehors depuis des semaines.

Elle se sentit comme groggy quand elle reçut au visage l'air glacé du Detroit.

Près de l'embarcadère, alors qu'elle traînait derrière elle sa malle en suant à grosses gouttes, elle entendit crier son nom et en se retournant, elle vit Jimmy assis par terre la casquette de travers en train de jouer aux osselets avec des gamins de son âge.

– 'jour. J'allais venir vous voir M'dame. Je pars dans deux jours pour Balaklava. Vous avez une lettre pour le lieutenant ?

– Tu tombes bien. Je ne savais pas comment faire.

– Vous avez un problème ?

– J'ai été renvoyée de L'hôpital Jimmy.

– Ben ça alors ! Je suis sûr que c'est Un-Sourcil qui vous a cherché des noises.

– Tu as raison. C'est cette vieille bique qui m'a jetée dehors.

Le petit se roula par terre en se tenant les côtes, cela l'amusait visiblement beaucoup de la voir si énervée.

– Si vous voulez, on peut lui pourrir la vie mes copains et moi. Lui mettre un rat mort dans le lit, des araignées...

– Ce ne sera pas nécessaire, elle a déjà la trace de mes doigts sur la figure. Mais en attendant, je suis censée rejoindre Eyüp.

– C'est grand comme coin.

– Je dois me rendre dans la maison d'un certain Arif Efendi.

Le petit se tourna vers ses amis et avec les quelques mots de turc qu'il avait appris, leur demanda s'ils savaient comment s'y rendre. Les petits s'animèrent, l'un d'entre eux à qui il manquait les dents de devant la rejoignit et la tira par la main vers l'un des quais. Les trois plus grands s'emparèrent de sa malle et la portèrent à sa suite. La troupe se retrouva devant une barque de pêche. Un vieillard y réparait un filet.

– Viens ! Lui dirent les petits qui montèrent à bord.

Interdite, elle enjamba tant bien que mal le bordage, puis elle s'assit sur sa malle à la poupe du petit bateau après avoir salué le vieil homme. Il lui offrit un sourire timide sous sa grande moustache blanche.

Jimmy et ses amis jouaient aux pirates d'un bord à l'autre de la barque. Finalement le pêcheur tapa du poing et les enfants turbulents s'assirent bien sagement sur les caisses et les nasses.

Le détroit était calme, l'air aussi limpide que glacé.

Lorsqu'ils eurent accosté, sains et saufs, et que Diana eut retrouvé le continent européen, elle voulut payer le pêcheur pour son aide, mais il refusa en grommelant et après un signe de la main reprit la mer.

– Mais comment les enfants vont retourner sur l'autre rive ?

– Ne vous en faites donc pas pour eux, lança Jimmy que visiblement cela n'inquiétait pas.

La petite troupe se mit en marche et après une quinzaine de minutes, ils arrivèrent devant un haut portail. Les enfants les saluèrent Jimmy et elle et partirent en courant dans les ruelles de la ville. Diana activa le heurtoir de cuivre et attendit.

La maison d'Arif Effendi était une grande bâtisse de bois, élégante, peinte en rose pâle, entourée d'un jardin et ceinte de hauts murs.

Au bout de quelques secondes, ils entendirent les pas précipités sur le gravier de l'allée et la porte s'ouvrit sur un serviteur portant un fez rouge à pompon, un pantalon bouffant et une épaisse veste de velours brodée qui lui donnant une allure des plus digne. Ils lui annoncèrent qu'ils venaient de la part du docteur Menzies. Il les invita à le suivre, utilisant un anglais à peine teinté d'accent. Il fit signe à deux valets de porter la malle et ils empruntèrent l'allée plantée de palmiers, d'orangers et de grenadiers.

Il les fit patienter dans l'entrée, seuls. Les valets étaient retournés vaquer à leurs occupations habituelles.

En soupirant, Jimmy se laissa tomber sur un banc. Il était dépenaillé et sentait l'enfant mal lavé, mais Diana puait littéralement l'hôpital et elle n'était pas certaine que cela vaille mieux. Dans une si belle demeure affichant un luxe élégant et discret, elle eut un peu honte. Elle s'imposait chez de parfaits étrangers sans même avoir pris la peine d'acheter un présent. Elle allait apparaître comme une personne d'une incroyable grossièreté.

Elle faillit rebrousser chemin quand elle vit en haut des escaliers une femme, d'une quarantaine d'années portant un magnifique caftan de velours rouge. De part et d'autre du visage, deux longues tresses noires et luisantes coulaient jusqu'à ses genoux. Elle les accueillit avec un sourire si aimable que Diana sentit ses chaussures devenir plus lourdes que le plomb.

– Soyez les bienvenus sous ce toit les amis, leur lança Ludmilla en descendant les marches les bras grands ouverts.

– Madame Bergman, je suppose. Bonjour, je me présente Diana Cabell et ce garçon qui va ôter sa casquette s'appelle Jimmy.

– Jimmy Twin m'dame, dit l'adolescent en retirant rapidement son couvre-chef et en se cachant discrètement derrière Diana.

– C'est le docteur Menzies qui vous envoie. C'est un ami, et ses amis sont les nôtres.

– C'est très gentil de votre part.

– Ben ça oui ! Une vieille bique l'a renvoyée de l'hôpital alors que c'est la meilleure des infirmières.

– Jimmy !

– C'est pas la vérité ?

– Si. Enfin les choses sont un peu plus compliquées.

– Mes pauvres, ces péripéties ont dû vous épuiser. Je vais demander à Altan de vous montrer vos chambres.

– Ce sera pas nécessaire m'dame, je suis juste venu pour être... le chevalier servant de Mrs Cabell. Je vais rejoindre le port, je pars après demain pour la Crimée.

– Ah ça non ! Tu vas rester ici, au chaud et tu vas me faire le plaisir de prendre un bain, s'exclama Ludmilla.

– Quelle bonne idée, ajouta Diana. J'aurai mon chevalier servant à mes côtés un peu plus longtemps !

– Mais je suis propre.

– Non tu ne l'es pas, grinça-t-elle entre ses dents.

Une bonne heure plus tard, débarrassée de ses vêtements sales, ayant revêtue sa plus jolie robe, celle qu'elle portait lorsqu'elle était montée à bord du HMS Menelas, Diana rejoint Madame Bergman dans un salon où celle-ci l'attendait à demi allongée sur un sofa, les yeux mi-clos. Elle l'observa un long moment ce qui l'embarrassa un peu. Puis elle l'invita à se mettre à l'aise ce qui n'était pas une mince affaire lorsque l'on portait un corset. Devant une tasse de café fort, Diana lui raconta qui elle était (sans trop rentrer dans les détails tout de même), ce qui l'avait amené à devenir infirmière et à rejoindre Constantinople, enfin le temps passant, et Ludmilla sachant la mettre en confiance, elle lui parla de cette nuit et de cette rencontre avec cette créature, ce qui arracha à la circassienne un frisson d'effroi. 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant