Chapitre 67 (Partie 1) Suivre une autre piste

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Cassandre se retourna pour s'assurer que tante Honorine descendait de l'élégante voiture de Brogan sans encombre. Elle pépiait comme une mésange depuis qu'elles avaient quitté le 18 Theobald's Road. Elles avaient dû faire un détour pour récupérer en chemin Christine comme promis et depuis que la camériste les avait rejointes, il avait été impossible de parler d'autre chose que de fanfreluches. Lady Blake supportait stoïquement la situation, elle savait bien qu'elle devait en passer par là car elle devrait être éblouissante pour ne pas être sujette aux moqueries et aux messes basses de la "bonne" société londonienne. Commentaires du genre : Avez-vous vu cette petite paysanne qu'a fait épouser le comte Bronson à son fils ? Pas étonnant qu'il ait préféré la cacher à la campagne et autres médisances de la même eau.

Mrs Bayley vint au-devant de ses clientes. Elle serra tante Honorine dans ses bras pour lui souhaiter la bienvenue, félicita Gaëlle pour sa bonne mine et sur l'effet que produisait sa robe (dans la mesure où elle venait de son atelier, on pouvait y voir une bonne dose d'autosatisfaction), puis après un regard surpris aux deux chiens sagement assis à côté d'elle, elle se tourna vers Cassandre. Sans un mot, elle la détailla avec l'œil de l'experte. La couturière afficha un sourire satisfait, elle venait de trouver un modèle qu'il lui plairait de mettre en valeur. Elle allait lui donner les armes qu'elle méritait, et si elle le voulait, elle mettrait Londres à genoux.

Une fois qu'elle fut mesurée des pieds à la tête et entre le choix rapide entre tel ou tel modèle, entre telle ou telle étoffe, Lady Blake eut tout le loisir d'interroger Gaëlle sur l'avancement de son enquête depuis sa dernière lettre et des précisions sur Mr Shaw et son notaire September. Puis, avec mille précautions, elle lui demanda si elle se rappelait d'autre chose au sujet de la nuit de l'incendie qui avait coûter la vie à ses parents.

– De rien d'autre, je suis désolée. Après que ce tableau ne me soit tombé dessus et m'ait brûlé le bras... je ne me souviens de rien, même pas de comment j'ai pu sortir d'un pareil brasier. Et toutes mes recherches n'ont menées nulle part. Je tourne en rond depuis des semaines. Personne ne semble se souvenir de Maître September et à l'exception de Maître Cotton, on dirait que tout le monde a oublié mon père. Comment est-ce possible ? Un homme riche, de belle allure...

– Peut-être ne veulent-ils pas se souvenir, ou ne peuvent-ils pas. Si les Flambeaux ont trempé dans cette histoire, il y a sans doute de la magie à l'œuvre. De quel ordre je l'ignore.

Cassandre s'enfonça dans son fauteuil et après avoir dit à Christine qu'elle préférait manger ce velours jaune que d'avoir à le porter et que cette dernière soit partie en pestant contre le peu de sens de l'avant-garde de sa patronne, elle observa avec attention Miss Shaw qui distraitement griffonnait dans son carnet de dessin le spectacle des couturières qui s'affairaient devant elle. Comme toujours, c'était très vivant pensa-t-elle alors qu'elle caressait la tête d'Artie.

– Vous tenez cela de votre mère ? Le talent pour le dessin et la peinture j'entends ?

– Oui. Elle a eu le temps de me transmettre son goût pour l'art, je pense. À moins que je ne m'y sois mise pour me rapprocher d'elle, je ne saurais le dire.

– Cette grande toile qui vous est tombée dessus, celle qui vous a brûlée. C'était l'une des siennes ?

– Je pense.

– L'enfer. Un thème curieux non ?

– Pas vraiment l'époque s'y prêtait, le poète John Milton et son Paradis Perdu ont eu une influence considérable au début du siècle sur les artistes anglais, John Martin et ses tableaux, les Shelley, lord Byron et sa poésie bien sûr. Les sentiments exaltés, la passion de la transgression, de la rébellion...

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant