Chapitre 75 (Partie 3)

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Cerberus n'avait pas encore procédé à sa première transformation. Elle viendrait bientôt, Harispe le sentait dans ses entrailles. C'était une force irrépressible et pure comme l'eau d'une source qui invisible, attendait de sourdre entre la roche. La prochaine pleine lune serait sans doute la bonne. Et Arcas attendait son changement avec une impatience teintée d'appréhension.

À quoi ressemblerait-il alors ? À un énorme loup comme Artie ou les trois chiens de son aïeul Horos ? Ils étaient les seuls qu'il n'ait jamais connus. Souffrirait-il beaucoup ? Cerberus était un chien solide, il ne devrait pas y avoir de souci. Il s'inquiétait davantage pour la minuscule Spider, même s'ils avaient encore du temps avant d'en arriver là, leur relation devait se renforcer. Il hésitait à s'ouvrir de ses angoisses à Diana. La dernière chose qu'il voulait c'était qu'elle dût replonger dans les souvenirs pénibles de sa jeunesse. Égoïstement, il souhaitait qu'elle ne pense qu'à lui et au bonheur qu'ils allaient construire ensemble avec Jimmy et Toula. À son corps défendant, il semblerait qu'il ait adopté les deux adolescents. Il se demandait bien ce qu'il allait pouvoir en faire, où plutôt ce qu'ils allaient faire de lui une fois cette guerre derrière eux.

Comment s'intègreraient-ils à Arlon ? Devaient-ils seulement s'y rendre ? Devrait-il leur révéler sa véritable nature ? Cela les mettrait-il en danger ? S'ils voyaient Cerberus se transformer en une bête gigantesque le problème se résoudrait de lui-même. Ce serait déjà cela. Il avait du mal à envisager vivre toute sa vie dans le mensonge dans sa propre maison.

À l'heure actuelle cependant, alors qu'ils se faufilaient d'obstacles en abris, Arcas était bien content que son molosse ne pèse que sa cinquantaine de kilos habituelle. Il était déjà suffisamment compliqué de ne pas se faire repérer en portant sous le bras une ramure de cerf de presque deux mètres d'envergure !

À peine se disait-il cela qu'un coup de feu retentit, il se jeta à terre et ordonna à Cerby d'en faire autant. Il se força à un silence absolu.

Alors qu'il ralentissait les battements de son propre cœur pour ne pas être gêné par ses pulsations, il poussa ses sens aussi loin qu'il le pouvait. La balle ne lui était pas destinée mais elle avait fait mouche. Une brise légère lui apportait l'odeur ferreuse du sang.

Une plainte se fit entendre suivie d'un murmure : "Grichka ! Otklikayetsya ! Ty mertv, podonok ?" Du peu de russe qu'Arcas connaissait il en tira une traduction approximative : Répond ! Tu es mort espèce de raclure ? Le râle plaintif cessa. Grichka, insensible à ses mots d'une tendresse infinie avait préféré rejoindre ses ancêtres.

Le baron jugea qu'il n'en apprendrait pas plus par lui-même. Ses sens étaient plus développés que ceux de la plupart des gens ou alors il avait simplement appris à mieux les utiliser. Mais lorsqu'ils s'avéraient insuffisants, il avait à présent une nouvelle corde à son arc. Il se décida à passer par l'intermédiaire de son chien. Il arrivait de mieux en mieux à se glisser dans son esprit.

Alors que Spider était une petite coquine qui avait tendance à s'éparpiller ce qui rendait la chose légèrement plus complexe, Cerby possédait une nature monomaniaque. Une idée à la fois. S'il se concentrait sur une odeur, il ne penserait qu'à elle jusqu'à en trouver la source. Il y avait quelques inconvénients à avoir un chien aussi têtu mais dans le cas présent, cela lui convenait tout à fait. Truffe au vent, le dogue passa en revue les environs. Quelque part à l'est flottait une vague odeur de mauvais tabac qu'il repéra bien vite. Dans son esprit, la chose paraissait aussi clairement que si Blanchard avait rependu de la peinture fluorescente sur son chemin. Arcas ne put retenir un sourire, Cerby ne pouvait vraiment pas supporter le caporal et visualisait milles tourments à lui infliger, pour un chien ayant si peu d'imagination cela était plutôt révélateur.

Après être revenu en lui-même, en rampant toujours, Arcas suivi de Cerberus bien décidé à retrouver le propriétaire de ce désagréable fumet, avancèrent vers leur cible désignée. De temps à autre, un autre coup de feu retentissait dans l'obscurité du no man's land, comme un gong lui indiquant le chemin à suivre et lui rappelant de ne pas baisser sa garde. Le danger pouvait surgir de n'importe où et prendre les formes les plus inattendues.

Dix bonnes minutes après s'être fait cette sage réflexion, il se tenait adossé à une souche, tentant de ne pas pester comme un charretier. Serrant les dents, il se débattait avec la couverture qui entourait le masque du lechi qui n'avait rien trouvé de mieux à faire que de s'entourer dans un fil barbelé. Une détonation brisa le silence, suivie d'une autre, celle-ci si proche qu'il vit la poudre s'enflammer dans les ténèbres. À une quarantaine pas, il entendit jurer en russe. "Moy zhivot !" Mon ventre !

Le plastoun avait peu de chance de s'en sortir, une blessure dans les entrailles était presque toujours mortelle. Avant qu'Arcas ne finisse sa pensée, un râle d'agonie fusa de la tranchée dans laquelle le gaillard avait trouvé refuge.

Blanchard avait fait mouche cette fois. Le plastoun s'était bien défendu, il avait fallu, cinq coups au bas mot pour l'abattre, pour une aussi fine gâchette ce n'était pas rien.

Le caporal avait trouvé un emplacement des plus commode légèrement en surplomb, sur un rocher entouré des débris de ce qui avait dû être un carrosse, de là où ils étaient, ses dernières victimes n'avaient aucune chance de le toucher. Dans son dos, les marais rendaient son approche quasiment impossible. Quasiment. Arcas, lui voyait parfaitement comment faire. Évidemment, il devrait aller très vite et faire un saut de près de sept mètres, mais cela n'avait rien de bien sorcier pour lui. Enfants déjà, Cassandre et lui, lorsqu'ils couraient dans les bois, sautaient par-dessus des ravines autrement plus larges. Mais sans doute n'abritaient-elles pas d'habitants aussi dangereux. Dans leur vallée perdue du Lot, les Harispe étaient les plus gros poissons de la rivière, en Crimée par contre...

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant