Chapitre 59 - Churbedley (Partie 1)

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Le soir venu, Joshua retrouva Cassandre dans la bibliothèque. Cela lui rappela les premiers jours de leur mariage où tous les deux venaient se réfugier ici et il ne put que constater à quel point les choses avaient changées. Il aurait aimé dire qu'il avait fait quelque chose pour cela, mais il avait conscience de n'y être pour rien.

Il s'approcha d'elle, enjamba Hadès qui le regarda en remuant la queue, et s'agenouilla à côté de son épouse qui s'était endormie, allongée sur un fauteuil qui n'avait sans doute jamais été pensé pour ça. Artie vint poser sa tête sur sa cuisse et lui lança un regard inquiet, elle aussi sentait que quelque chose n'allait pas chez sa maîtresse. Joshua souleva le bandage de son poignet et il eut un soupir mécontent en voyant que la plaie ne guérissait pas, elle paraissait saine mais ne semblait pas vouloir se refermer. Ce n'était pas normal, on aurait dit que petit à petit elle perdait de la vigueur. Artie l'avait sauvée de la chute mais...

Son chausson de laine glissa de son pied couvert de fines cicatrices presque invisibles aujourd'hui souvenirs de cette nuit qui fut fatale à ses parents, il passa le doigt sur elles, elles étaient presque imperceptibles. Elle avait survécu à ça, ce n'était pas pour abandonner maintenant ?

Cassandre émit un petit couinement.

– Pardon ! Je vous ai fait mal ?

Le visage enfoui entre les plis d'un plaid de laine, Cassandre fit signe que non.

– Je vous ai réveillée.

Elle hocha la tête. Joshua se permit un sourire diabolique.

– Ne me dites pas que vous êtes chatouilleuse ?

– Non, finit-elle par répondre après un moment un peu trop long.

Il passa lentement les ongles sous sa plante de pied, elle rua et faillit l'expédier de l'autre côté de la pièce ce qui le fit rire autant que cela le rassura, elle avait encore de l'énergie visiblement.

– Alors c'est comme ça vous vous vengez ? En traître, sans prévenir madame.

– Vous m'avez secouée comme un prunier. Vous l'avez bien mérité. Vous vous êtes comporté comme un animal.

– Un ours sans doute. Alors que lisiez-vous avant de vous endormir ? Une histoire de barbares se découpant joyeusement à grands coups de sabres.

– Non ! Elle lui montra la couverture de son livre.

– Orgueil et préjugés ! Voyez-vous cela !

– J'essaie de saisir la psychologie anglaise.

– Alors c'est un bon choix. Où en étiez-vous ? Demanda-t-il en lui arrachant l'ouvrage des mains malgré ses protestations.

– Mr Darcy vient de faire une demande en mariage. Elisabeth l'a évidemment rejeté, parce qu'il est imbuvable.

– Évidemment. Alors continuons : « Vous vous trompez, Mr Darcy si vous supposez que le mode de votre déclaration a pu me causer un autre effet que celui-ci : Il m'a épargné l'ennui que j'aurais éprouvé à vous refuser si vous vous étiez exprimé d'une manière plus digne d'un gentleman. »

Sa voix était grave, posée et chose amusante, quand il lisait, il prenait un accent légèrement traînant.

Cassandre sut immédiatement qu'il tenait cela de sa mère, peut-être lui faisait-elle la lecture lorsqu'il était petit. Et bien que les aventures d'Élisabeth l'intéressent au plus haut point, le timbre chaud de Joshua la guida directement dans les bras de Morphée.

***

Sa respiration était tranquille, elle dormait comme un ange.

Il la souleva et l'emmena en prenant son temps jusqu'à sa chambre. Ses deux chiens s'installèrent sur leurs tapis moelleux au pied du lit. Il la borda avec soin et après l'avoir regardé un instant sommeiller paisiblement. C'est rassuré qu'il rejoint sa chambre.

Il ne voyait rien autour d'elle, pas d'ombre qui la suivait partout, pas de présence où d'orbes lumineux flottant aux alentours. Mais alors qu'est-ce qui pouvait provoquer un tel état ?

Il y réfléchissait pendant qu'il se lavait avec l'eau froide du broc posé derrière son paravent.

– Bon sang elle est gelée ! Pesta-t-il. Et sa barbe qui était une vraie éponge avec ça ! Une éponge glacée.

Finalement il se coucha et trouva rapidement le sommeil malgré les grattements venant de l'étage inférieur qu'il entendait. C'était habituel, un royaliste y avait trouvé refuge dans une cache alors qu'il fuyait les partisans de Cromwell en 1650. Il semblerait qu'il ait été oublié là et depuis il cherchait un moyen de sortir.

Comme toujours Joshua l'ignora. Passer en revue dans son esprit toutes les entités capables d'occasionner les symptômes de Cassandre eut le même effet sur lui que compter les moutons.

***

Il ouvrit les yeux. Son corps était si lourd qu'il n'arrivait même pas à soulever la tête.

Mais où était-il ?

Cette fenêtre... la chambre de Cassandre. Mais elle avait changé la couleur des murs, tout était dans une teinte lavande aujourd'hui, pourquoi tout étaient-ils rouges alors ? Les murs, les rideaux, même les draps ? Les draps ! Le rouge teintait les draps tout doucement. C'était du sang, c'était son sang. D'un geste brusque, aiguillonné par un élan d'énergie, il rejeta les couvertures. Sur ses cuisses sa longue chemise lui collait au corps.

Une vague d'odeurs ferreuses le saisit à la gorge et il crut s'évanouir, mais il ressentait un tel sentiment de manque qu'il lui était impossible de lâcher prise. Il tourna la tête à droite, à gauche, à la recherche de ce dont il avait absolument besoin.

Il entendit un cri de bébé et il se leva d'un bond, mû par une volonté qu'il ignorait avoir en lui. Malgré tout, il dut se retenir à la colonne du lit pour ne pas tomber en arrière. Il avait si mal au ventre ! Comme s'il y avait reçu des coups de poignard. Mais il rassembla son courage et ouvrit grand la porte. Le bébé pleurait à plein poumon et il vit une silhouette habillée de velours noir s'engouffrer dans la petite tour.

– Caterina, aspetta ! Ridammi il mio bambino ! *Cria-t-il.

Chaque pas provoquait une souffrance innommable mais il lui fallait son bébé.

Il l'entendait crier, lui aussi avait besoin de lui.

Il atteint l'escalier. Le colimaçon lui parut sans fin et lui donna le vertige.

Un pied après l'autre, courage !

Caterina était là, près de la fenêtre, le petit Carlo serré contre sa poitrine. Encore un pas et il pourrait toucher son enfant, juste un pas. Mais il se sentit glisser, ses pieds humides de sang se prirent dans les plis de sa chemise.

Le bruit du verre brisé.

Son corps qui flotte.

Le visage inexpressif de Caterina penchée vers lui.

Le ciel gris.

Le choc.

La nuit.

*Catherine, attendez ! Rendez-moi mon bébé ! 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant