Après qu'ils se soient rendus à l'ambassade de France, Aidan et Arcas, escortèrent ces dames sur Régent Street, dans l'atelier photographique de Monsieur Antoine Claudet, afin d'obtenir des daguerréotypes pour lesquels il était réputé.
Gaëlle avait d'abord décliné la proposition de se joindre au groupe et de poser elle-même, sa timidité naturelle l'en empêchant. Mais Honorine avait rétorqué que si une dame de son âge acceptait l'expérience, il serait ridicule qu'une belle jeune fille comme elle la refusa.
Après moult "Pour me faire plaisir" de tante Honorine, et un "Elle n'en est pas capable" d'Aidan. Elle décida d'accepter ne serait-ce que pour clouer le bec de cette bourrique irlandaise.
De plus se dit-elle, il valait sans doute mieux pour une première sortie dans la capitale, être entourée d'amis.
Elle n'avait fait à Londres que de courts séjours en compagnie d'Aloysa, la mère d'Aidan, lorsque celle-ci rendait visite à des connaissances, des années auparavant. Devoir se lancer à l'aventure dans les rues de la ville, sans même en avoir pris le pouls à la recherche du notaire de ses parents était une tout autre affaire. La détermination farouche qui l'animait n'y changeait rien. Qu'arriverait-il, si elle se retrouvait en face d'êtres surnaturels et qu'elle s'évanouissait à nouveau comme une stupide petite dinde ? Elle frémissait, rien qu'en y pensant. Pourtant, elle devait cesser de se mettre martel en tête. Elle était résolue à suivre l'exemple de Cassandre, de ne pas être une faible femme se laissant porter par le flot des événements. Il fallait qu'elle se montre forte, fière et sans peur.
Honorine voulait un daguerréotype, de son petit Aidan, de sa charmante Gaëlle et de son fantastique Arcas, pour pouvoir, citons ses mots : se vanter auprès de ses amies de connaître un si beau français.
La journée se passa dans la plus parfaite bonne humeur. Gaëlle n'avait jamais songé que ce séjour à Londres puisse être si agréable.
Finalement curieuse, elle suivait Monsieur Claudet dans chacune de ses manœuvres et lui posait mille questions sur son art. Il lui répondait, amusé et flatté de son intérêt. Il l'invita à utiliser son sens artistique pour guider ses amis dans leurs poses en tenant compte du fait qu'il devrait rester parfaitement immobile, durant un bon moment. Cela empêchait donc de saisir Arcas alors qu'il riait comme elle avait prévu de le représenter sur sa toile. Il y avait semble-t-il encore un avenir pour les artistes peintres.
Le baron d'Arlon portait son uniforme flambant neuf, expressément pour l'occasion, mais Gaëlle insista pour qu'il pose ensuite en manche de chemise, assis de manière décontractée.
– Je compte vous peindre ainsi, dans un paysage champêtre. J'aurai aimé pouvoir représenter votre château à l'arrière... elle réfléchit en silence quelques instant avant de lancer gaiement : Je me débrouillerais, je trouverais bien quelque chose.
– Cassandre sera ravie, j'en suis persuadé.
Le temps de pose était long et quand Monsieur Claudet lui donna l'autorisation de bouger. Arcas poussa un profond soupir de soulagement. Même s'il ne l'avait pas signalé les odeurs des produits chimiques nécessaires au procédé photographique, lui agressait durement les sens, la tête lui tournait furieusement. Il se sentait ridicule et se demandait s'il ne loucherait pas sur le daguerréotype, ainsi il resterait pour les générations futures un grand bonhomme dans un uniforme à la limite du ridicule, doté d'un impressionnant strabisme convergeant.
– Il n'y a pas que vous jeune homme, à présent laissez la place à vos aînés, s'exclama tante Honorine en riant. Monsieur Claudet ayez la gentillesse de me faire paraître fabuleusement belle et jeune sur cette image, voulez-vous ?
– C'est pour ton libraire que tu te donnes autant de mal, tantine ?
– Monsieur Brogan, Maudit garnement, ne me fais pas rire, je dois être aussi pétrifiée que la femme de Loth.
– Comme si c'était possible, vous causez sans arrêt tantine.
– Qu'il est méchant ! Pour ta peine tu poseras avec moi.
Au final il y eut un daguerréotype d'eux quatre réunis, d'Honorine et Aidan, Honorine Aidan et Gaëlle, puis Aidan et Gaëlle seuls ensembles.
– Mademoiselle. Détendez-vous, lui demanda Monsieur Claudet.
– J'essaie.
– Monsieur, penchez-vous vers la demoiselle.
Le souffle d'Aidan caressait son cou. Elle se tourna et lui lança un regard courroucé.
– C'est ça, s'exclama Monsieur Claudet. Ne bougez plus d'un pouce.
Gaëlle et Aidan se dévisageaient, dans un silence parfait.
Lui, son éternel sourire de travers, elle, lançant des éclairs de ses yeux verts.
Elle ne prenait jamais le temps de le regarder. Brogan était le genre d'homme toujours en mouvement qu'il était difficile de suivre. Épuisant à force d'énergie, mais il avait une certaine séduction, il fallait l'avouer. Oh rien de comparable avec la beauté d'Arcas d'Arlon, ni avec le charme viril de Lord Blake, ni même avec l'allure de parfait gentleman qu'affichait son frère Nathan. Mais elle commençait à comprendre que son air canaille puisse plaire. Il avait un teint admirable, c'était étrange de remarquer cela chez un homme, mais il avait l'aspect d'une pêche qu'on s'attendrait à voir chez un garçonnet, pas chez un homme fait, ayant parcouru le monde et vivant dans une ville enfumée comme la capitale britannique. Ses sourcils très bruns formaient des parenthèses au-dessus de ses yeux gris d'argent. C'était la première fois qu'elle remarquait à quel point leur couleur était différente de celle de son frère qui tirait vers l'or. Il se moquait d'elle ses lèvres frémissaient. Il se moquait de son impuissance. Ce serait si facile de lui donner un bon coup de pied dans le genou pour lui faire passer l'envie de rire. Mais le daguerréotype serait gâché et Honorine très déçue. Il fallait tenir, se montrer stoïque. Encore quelques secondes.
– C'est fini, déclara enfin le photographe.
– Tu veux me taper dessus rouquine ?
– Tu le mérites.
Et toc un bon coup de talon dans le tibia !
VOUS LISEZ
Quand les loups se mangent entre eux
Paranormal1854 Les jumeaux Cassandre et Arcas sont des meneurs de loups. Une hérédité dont ils se seraient bien passés. Elle vient de couter la vie à leurs parents, assassinés par de mystérieux hommes en noir, possédant des pouvoirs surnaturels qui même à l...