Chapitre 31 - Va pour Hadès !

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Elle retourna dans la cour où le chien était allongé, toujours immobile dans la charrette.

Personne n'avait osé le toucher pour l'en descendre et Johnny se dandinait d'un pied à l'autre, ne sachant pas quelle attitude adopter alors que la maisonnée courrait dans tous les sens. Au moins, l'eau était-elle prête pensa lady Blake et les serviteurs s'activaient fébrilement tout autour pour donner l'impression de ne pas se tourner les pouces. Ils étaient curieux de savoir ce que leur maîtresse allait bien pouvoir faire de cette créature puante.

De plus, ils n'étaient pas pressés de rentrer dans le château après avoir entendu le rugissement et vu une nuée de chauve-souris filer vers le ciel. Christine qui visiblement ne s'en était pas remise, gisait toujours au sol, gémissante. Elle se disait paralysée par la peur et se faisait éventer par une autre femme de chambre, Caroline si Cassandre se souvenait bien. Cette adolescente plutôt influençable qui ne tarderait pas à tourner de l'œil au moindre chuchotement comme son amie si Lady Blake n'y mettait pas le holà.

Cassandre qui n'était pas d'humeur à s'apitoyer sur autre chose que la créature velue à l'article de la mort qui gisait, Artie à ses côtés sans même une gamelle d'eau se mit à grommeler : les êtres humains étaient décidément des plaies, il n'y avait rien de bon à tirer.

Elle se tourna vers les deux demoiselles et leur lança d'une voix tranchante comme un rasoir :

– Avez-vous fini votre comédie ? Tourner de l'œil de cette façon ! C'est un procédé déjà tout à fait ridicule et détestable pour les jeunes filles bien nées qui ne savent rien faire de leurs dix doigts. Tout ça pour se faire remarquer ! Je n'admettrais pas d'avoir à mon service de pauvres petites choses qui croient bon de devoir user de ce genre de stratagème pour attirer l'attention. Tout ça pour un pauvre chien malade. Dois-je continuer ?

Elles se redressèrent d'un bond, toute faiblesse oubliée devant la crainte de perdre leur travail.

– Je préfère cela, grinça lady Blake entre ses dents.

– Nous avons entendu un cri terrible Milady ! J'ai cru mourir de peur.

– C'était moi qui ne trouvais pas ce dont j'avais besoin. Ce château est un véritable capharnaüm. C'est à s'en arracher les cheveux.

– Mais ce n'était pas humain...

– Il y a de l'écho dans les caves. C'est tout. Arrêtez de me faire perdre mon temps. Rendez-vous plutôt utile allez me chercher les accessoires d'Artémis dans la boîte en os sur ma coiffeuse.

C'était un coffret dans lequel il y avait des peignes, des brosses, des ciseaux, tous les accessoires pour que sa chienne ait fière allure, le tout arrangé sur de petits coussins en velours rouge. C'était sa mère qui le lui avait offert. Évidemment à la base, il était censé contenir un nécessaire de couture. Il lui aurait été parfaitement inutile puisqu'elle était à peine capable de recoudre un bouton.

– Il vaudrait sans doute mieux le tondre Milady, déclara Ronald en ne s'approchant tout de même pas plus que nécessaire lorsqu'il vit les petits ciseaux dans la boite.

– Vous avez sans doute raison. Vous vous portez volontaire ?

– Protégez-moi seigneur ! Déclara-t-il.

– Courageux mais pas téméraire, n'est-ce pas Ronald. A-t-on ce qu'il faut ?

– Je vais voir ce que je peux trouver.

Pendant que le majordome partait à la recherche de matériel, Cassandre saisit le chien à bras le corps devant les yeux médusés des serviteurs toujours présents dans la cour. Puisqu'ils étaient là, elle leur demanda de laver consciencieusement la charrette de Monsieur Blair et envoya Jimmy en cuisine pour que Marcel lui donne de son fameux gâteau au citron pour lui et sa famille afin de les remercier de leur gentillesse.

Lorsque le petit revint, il portait un grand plat recouvert d'un torchon blanc et paraissait aux anges.

– Je reviendrais vous rendre l'assiette Milady. Je pourrais aller dire bonjour à Scamandre ?

– Bien sûr. Il ne t'a pas tué. C'est un signe. Je crois qu'il t'aime bien.

Le gamin lui sourit de toutes ses dents et s'accroupit à côté d'elle. Il avait dû s'habituer à l'odeur du chien, il ne semblait plus y prêter attention.

Il alla jusqu'à lui donner une petite tape sur la tête.

– J'espère qu'il s'en sortira Milady.

– Tu es un bon garçon Johnny. Allez rentre chez toi, ton père va finir par croire que je lui ai volé sa jument, sa charrette et son fils.

Le petit sauta sur le siège et demanda au cheval de trait de partir au galop mais il dut rapidement se rendre à l'évidence, cette brave Peach n'était pas une nerveuse. Elle marcha au pas comme à son habitude.

Ronald revint sur cette entrefaite en compagnie d'un solide gaillard portant une grosse besace de cuir et tordant nerveusement sa casquette entre ses mains.

– Voici Jo, Milady. Il est saisonnier et tond les moutons.

– Mr Jo, je vous demande un exploit, je sais que ce n'est pas quelque chose d'agréable mais vous recevrez un salaire en conséquence.

– J'ai vu pire m'dame.

Avec beaucoup de délicatesse, le tondeur coupa tout ce qu'il pouvait sans blesser le chien. Il faisait du bon travail et sans rechigner, elle lui donnerait une prime pour la peine.

Pendant qu'il supportait l'épreuve, Cassandre avait nourri la pauvre bête de gruau auquel elle avait mélangé la potion de son cru. Le lavage fut simple. Pas une fois il ne se plaint, au contraire, il avait l'air d'apprécier l'eau chaude et l'attention bienveillante qu'on lui portait. Le plus long fut de le débarrasser des centaines de puces et de tiques qui le dévoraient vivant.

À la fin de l'épreuve il avait l'œil moins terne et la regarda avec une adoration qui la gênait presque. Il sentait le savon à la lavande mais ressemblait toujours à une sorte de vieille carpette élimée, au moins était-ce une carpette propre.

Cassandre ayant enfin rejoint sa chambre, pris un long bain chaud dans la cuvette de cuivre, vérifia consciencieusement qu'elle ne portait pas de visiteurs indésirables et s'aspergea copieusement d'eau de Cologne.

Elle avait fait installer une pile de vieux tapis au pied de son lit et y avait déposé le grand chien qui s'endormit immédiatement. Il avait le ronflement d'un tout petit chiot.

Artie avait l'air navré. Son nouveau camarade ne ressemble à rien semblait-elle penser.

– Les poils repousseront. Et une fois remplumé, il aura fière allure. Tu as vu la taille de ses crocs ? Nous devons lui trouver un nom. Un qui ait un rapport avec la mythologie grecque pour respecter la tradition familiale. Orion, qu'en dis-tu, c'était un chasseur ?

La petite chienne rouge secoua la tête.

– Cerbère ? Cela manque trop d'originalité à ton goût. Artie n'aimait visiblement pas. Hadès ? Le pauvre a dû vivre en enfer durant un bout de temps après tout.

La chienne rouge alla se coucher entre ses grandes pattes décharnées.

– Va pour Hadès ! Veille bien sur lui cette nuit.

Après les avoir caressés tous les deux, elle se leva et observa la porte de sa chambre un long moment.

Cassandre sentait, derrière, une malveillance à l'œuvre, comme un battement lent et régulier qui allait crescendo. Elle entendait son souffle, son sifflement plein de rage et de ressentiment.

Elle avait été surprise que la jeune française lui résiste tout à l'heure dans les souterrains, mais elle avait bien conscience et Cassandre tout autant, que quel que soit sa force, quel que soit ses pouvoirs, la meneuse finirait par baisser sa garde. Et les morts, eux, avaient tout leur temps. 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant