Chapitre 22 - Blake House

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Joshua avait dans un premier temps pensé accompagner Brogan et Arlon dans leurs démarches londoniennes, mais après le dernier éclat de son insupportable beau-frère, il avait préféré repousser cette idée. Il envisageait, chaque seconde davantage, les attraits que représentaient le broyage lent et cruel du crâne du jeune baron entre ses mains. Il fit craquer ses phalanges, anticipant avec délectation sa correction pendant que la voiture s'éloignait vers Theobald's road. Mais Arcas était malheureusement censé arriver vivant en Crimée ce qui excluait toute forme de vengeance au caractère aussi définitif.

Cassandre... une sainte avait-il dit ! La sainte patronne des harpies ! Ça oui ! C'était même l'anagramme de son nom de famille, cela aurait dû lui mettre la puce à l'oreille depuis le début. Il avait épousé la généralissime des minuscules pestes arrogantes au parfum envoûtant et aux lèvres sucrées. Cela faisait encore parti de ses ruses, on pensait avoir affaire à une délicate créature et Paf ! Sans prévenir vous vous retrouviez attaqué par une folle furieuse et un chien géant. Une mégère qui mériterait d'être matée. Non mais à quoi pensait-il ? C'était indigne de lui. Cette femme allait le rendre complètement fou, même absente elle lui gâchait l'existence. Il ne se reconnaissait plus. Les Harispe faisaient ressortir chez lui des élans barbares. Évidemment, se dit-il en passant la porte de sa villa cela ne lui ressemblait absolument pas. Il était connu pour la remarquable placidité de son caractère et le calme olympien avec lequel il affrontait les vicissitudes de la vie ! Les exceptions se comptaient sur les doigts d'une main. Deux peut-être. On ne dépassait certainement pas la cinquantaine d'incidents dans tous les cas. Ils avaient tout de même tendance à augmenter sérieusement ces temps-ci et étrangement cela avait toujours un rapport plus ou moins direct avec sa chère épouse.

John, le majordome observa, navré, les gants de chevreaux roulés en boule et jetés sur la console de l'entrée.

– Y-a-t-il un problème John ? Vous avez l'air plus chiffonné que d'habitude ?

– Milady n'est pas avec vous, constata le serviteur de son habituelle ton neutre. Milord a reçu ce matin un courrier d'une certaine dame qui n'est pas la nouvelle lady Blake, ajouta-t-il.

– Et ?

– Nous avions espéré à l'office que vos errements de jeunesse seraient derrière vous Milord. Il dit cela en fixant les moulures du plafond, enfin c'était cela où il regardait par la fenêtre. Impossible d'en être certain avec John et son fichu strabisme divergent.

– Me jugeriez-vous John ? Joshua sentait venir une nouvelle exception des plus alarmantes.

– Jamais je ne me permettrais Milord. Je suis majordome depuis plus de dix ans ! Il avait exposé ce fait comme s'il n'y avait pas plus grand honneur dans la vie.

– Et donc vous n'avez pas d'opinion ?

– Absolument Milord.

– Que c'est rassurant ! Alors continuez comme cela. Donnez cette lettre et faites-moi préparer un bain.

***

Joshua était allongé les jambes étendues dans sa baignoire en cuivre faite sur mesure. C'était à ses yeux un véritable luxe et il s'en délectait. Il essayait de savourer son moment de détente. Il n'allait certainement pas durer.

De quoi se mêlait son personnel. Emmener Cassandre à Londres, et c'était la fin de sa santé mentale ! Et il n'avait pas besoin de cela.

En lisant la lettre de Margaret, il sentait approcher les ennuis.

"Venez immédiatement".

Pas de mots d'amour, pas même un mon cher. Elle semblait en colère au vu de son écriture particulièrement énergique. Il fallait dire pour sa défense que cela faisait des semaines qu'il avait quitté la capitale et il n'avait pas été particulièrement assidu dans son courrier, il n'avait pas même pris la peine de la prévenir de son retour. Et pourtant elle était bien informée, il jeta la lettre dans le feu de la cheminée et la regarda partir en fumée avant de se laisser glisser au fond de la cuve.

La flamme se reflétant sur le cuivre dessinait des vagues d'or sur le plafond, elles lui rappelèrent la chevelure de Cassandre le matin de leurs noces, il tendit la main... Finalement il remonta à la surface. Il se sentit perdu un instant. Pourquoi se torturait-il ainsi ?

Il était heureux d'être de retour pourtant. Ici, il n'y avait pas autant de fantômes qu'à Churbedley. Dans la maison, ils étaient même assez rares : la petite Estelle qui cherchait sans fin les lorgnons de sa maîtresse était la seule à demeure et elle ne le gênait pas. Elle n'était pas consciente de la présence des vivants, ni même de la boucle temporelle dans laquelle elle était enfermée.

Ici, il n'avait pas à subir d'agressions quotidiennes, pas de harcèlement, de visions d'horreur où qu'il pose les yeux. Il avait l'impression d'être un homme normal et de pouvoir oublier ses drames, son passé, ses fautes.

Il se décida à sortir de l'eau. Sans tenir compte du fait qu'il trempait le tapis d'Aubusson, il se dirigea vers la commode, se servit un verre de Porto et le bu cul-sec, inondant au passage ses moustaches. Un cadeau de Margaret. Un peu âcre, il devait l'avouer. Mais il faisait son office, il sentit ses muscles se détendre. Margaret savait ce qui était bon pour lui. Il devait la rejoindre. Pourquoi perdait-il son temps à traîner, nu comme un ver, au milieu de sa chambre ?

Il appela Griffin, son valet qui l'aida à s'habiller avec soin. Il ne fournissait pas autant d'effort à Churbedley, surtout là-bas il ne se donnait pas vraiment la peine de tenter de contrôler sa crinière, mais hors de question de se promener dans les rues de Londres avec un buisson sur la tête. Il coiffa sa moustache et la cira, il sourit au reflet que lui renvoyait le miroir, il adorait porter une moustache, elle lui donnait un air de dignité, le faisait paraître plus âgé, adulte, maître de sa vie et de ses choix.

Il tira sur sa veste, elle le serrait au niveau des bras, il avait pris du muscle durant son séjour chez lui et il n'en avait pas besoin. Déjà qu'on le prenait pour une sorte de barbare ! La servante de Margaret allait encore le juger indigne de sa patronne. Margaret appréciait qu'il soit impeccable. Elle serait sans doute déçue. Si elle ne l'était qu'à cause de sa tenue il devrait en être heureux. 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant