Au dessus du pilier herméaïque, le menton posé sur le sommet du crâne de pierre, le Lechi se tenait parfaitement immobile.
Voici le pilier hermaïque, avec des inspirations grecques, thraces et étrusques.
Arcas ne put retenir un frisson quand il cligna des yeux. Il avait presque espéré que cette chose n'était pas vivante qu'il souffrait seulement d'une sorte d'illusion d'optique, où qu'il était la victime d'un cauchemar éveillé. Mais lorsqu'il fit un pas en arrière, toujours accroupit, la chose le suivit de son regard humide de cerf. L'odeur d'humus de la forêt se teinta d'un relent de pourriture âcre qui lui arracha un hoquet de dégoût. L'effluve était pourtant moins repoussant que celui abominable qu'il lui avait connu deux mois plus tôt. Il se serait bien interrogé plus longuement sur cela, si l'éclat d'un sabot affûte comme une lame de sabre entre les herbes hautes n'avait pas ramené Arcas à des préoccupations plus urgentes.
La main de la créature glissait le long du pilier comme s'il s'apprêtait à le pousser avant de fondre sur le jeune baron et son chien qui fixait le monstre en grondant, les poils de son dos hérissés en une crête frémissante.
La situation pouvait dégénérer d'un instant à l'autre et Diana pourrait se retrouver privée de son fiancé à quelques jours des noces. Sans perdre de temps, Arcas s'empara du masque qui gisait au sol près de lui, et le souleva bien haut au-dessus de sa tête en se maudissant d'être un imbécile curieux et impulsif. Il devait avoir l'air d'un parfait crétin.
Le Lechi le fixa avec ce qui semblait être, de l'avis du baron, mais il pouvait se tromper, de la perplexité. Il préférait cela à de la haine ou de la faim. Il n'avait pas la moindre envie d'être dévoré ce soir comme ce pauvre gamin russe que le dieu des bois avait sauvagement éventré.
– Je viens en paix, déclara Arcas avec toute la persuasion dont il était capable. Il modela sa voix pour la rendre la plus amicale et aimable possible, sans laisser planer ne serait-ce que l'ombre d'une menace.
Il ne voyait pas comment une créature vivant isolée sur un plateau de Crimée aurait pu comprendre le français, mais il espérait qu'à son ton, il devinerait ses intentions pacifiques.
Alors que le Lechi le dévisageait, Arcas, bien que dans une position de suppliant des plus inconfortable, put à loisir lui rendre la pareille. Le bas du corps, recouvert d'une pelisse brune collée de mousse et de vase, mesurait plus d'un mètre soixante-dix au garrot. Ce détail à lui seul en aurait fait une bête à la taille hors du commun. Mais lorsqu'on se retrouvait en face d'un animal qui à la place d'une tête de cerf, déployait le torse d'un homme élancé, aux muscles noueux et à la peau tannée comme du cuir, une taille supérieure à la moyenne était bien la dernière chose dont Arcas s'inquiétait. Le visage était tout à fait curieux. Le front était haut, les pommettes saillantes, les yeux immenses, brillants et sombres, le nez plat et fendu jusqu'à la lèvre supérieure. L'ensemble créait un mélange entre humain et animal à la limite de l'inquiétante étrangeté qui donnait au baron la furieuse envie de fuir en courant.
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Quand les loups se mangent entre eux
Paranormal1854 Les jumeaux Cassandre et Arcas sont des meneurs de loups. Une hérédité dont ils se seraient bien passés. Elle vient de couter la vie à leurs parents, assassinés par de mystérieux hommes en noir, possédant des pouvoirs surnaturels qui même à l...