24 septembre 1854
À bord du HMS Ménélas, à quai dans la rade de Scutari, Istanbul.
Ma chère Cassie
Tu te plains sûrement de ne pas avoir reçu de courrier de ma part plus tôt.
J'aurais pu t'écrire tous les jours et à l'heure où tu lis cette lettre, tu aurais entre les mains une énorme pile de papier, mais que t'aurais-je raconté ? La mer, les vagues, le roulis incessants, le tapage infernal des machines à vapeur, ce bateau, qui les jours de gros temps, est comme un bouchon de liège. C'est à se demander comment nous avons fait pour ne pas couler au large des côtes italiennes. À présent, sans même te voir, je sais que tu as changé de couleur, et que ta peau a pris une teinte verdâtre comme durant notre courte traversée de la Manche. Tu es contente ?
Bien sûr j'aurais pu choisir de te décrire mes camarades de cabines qui puent des pieds et qui sont aussi stupides qu'un troupeau d'oies, et c'est faire insulte à ces palmipèdes. Ce sont de jeunes officiers, bien sous tous rapports et donc d'un ennui mortel. Je pourrais te raconter les concours où l'on tord des barres de métal à mains nues en se mesurant à un Hercule de foire aussi grand que ton mari. Le soldat Cole a cependant bien meilleur caractère. J'ai fait quelques parties de dés avec le major Sawyer et ses amis, mais bien que cela tue le temps, je ne pense pas t'intéresser avec un sujet pareil. J'ai aussi rencontré la plus merveilleuse des créatures du monde. Je compte bien l'épouser un jour, mais pour l'instant elle repousse mes attentions et souhaite se contenter de mon amitié. Je pourrais écrire des pages entières sur la nourriture infecte, les officiers arrogants, la promiscuité assez désagréable avec tant d'individus.
L'épouser ? Épouser qui ? Cassandre tourna et retourna la page, incrédule.
J'ai donc décidé de ne t'écrire qu'après avoir passé le fameux détroit des Dardanelles. Certes, j'aurais pu t'envoyer un courrier depuis Malte, mais je n'en ai pas eu le temps. Nous y avons fait une courte escale et j'y ai reçu des nouvelles de Brogan d'ailleurs ? Comment ont-elles pu arriver avant nous ? Ce gars est plein de ressources.
Notre capitaine est un jeune gus assez amusant. Il se vante d'être parfaitement bilingue sous prétexte que son "amie" est une française. Alors soit la jeune dame est d'une région où l'on parle un patois dont j'ignore tout ; soit elle n'est pas plus française que l'empereur de Chine mais le prétend pour se donner un genre ; soit ce capitaine Osgrove est une chèvre dès qu'il faut apprendre une langue étrangère à la sienne. Mais c'est un bon garçon. Ses hommes le savent et en profitent sans vergogne. Ils ont d'ailleurs tenté de se mutiner à Malte justement. Certains matelots ont voulu descendre du navire alors que nous faisions des réserves d'eau potable. Histoire de profiter de la vie vois-tu ? Je ne vais pas heurter ta sensibilité féminine, mais j'ai confiance en ton intelligence.
Je continue. Lorsque le capitaine à refuser, arguant que nous ne devions pas traîner car il y avait une guerre à gagner, le ton est monté.
Des menaces furent proférées concernant la vie du capitaine et de ses officiers. Rien de plus normal, c'est le jeu ! Mais lorsque ces marins ont menacé la vertu de ces dames... T'ai-je dit que nous voyagions avec un groupe d'infirmières ?
Diana est l'une d'entre elles.
– Qui est Diana ? La plus merveilleuse créature du monde ? S'exclama Cassandre seule dans la chambre de Joshua. Il ne peut pas s'empêcher de sauter du coq à l'âne ! Elle plaqua la main sur sa bouche. Elle se leva et se dirigea silencieusement vers la porte. Elle y colla l'oreille à l'affût d'un bruit dans le couloir.
Silence.
Elle entrouvrit la porte de chêne, qui émit un léger grincement. Elle eut un mouvement de recul quand elle aperçut une ombre rouge fugitive s'engouffrer dans l'escalier de la petite tour.
– Milady ! Cet appel venait de la direction opposée.
Christine était à sa recherche. Elle ferma doucement le vantail. Elle n'était pas d'humeur à entendre la suite des merveilleuses qualités des robes dessinées par Worth. Ni à se préoccuper des morts. Elle reprit sa lecture en ignorant les beuglements de la femme de chambre et par la même occasion son étrange pressentiment.
Pour calmer les mutins, il a fallu faire le coup de poing. Je participais. L'honneur de ces dames, charmantes au demeurant, était en jeu et tu te doutes bien que j'avais à cœur de les protéger. Et tout est rentré dans l'ordre.
Malgré tout, un matelot plus rancunier que les autres à tenter de me jeter par-dessus bord au large de la Crête quelques jours plus tard. Je suppose qu'il a fini par atteindre la côte à la nage. Ou peut-être pas.
Cassandre voyait clairement le sourire malicieux de son frère lorsqu'il avait écrit ces mots. Quel sauvage ! Il lui manquait tellement. Sa famille lui manquait tellement.
Je t'embrasse, et à présent que j'arrive à terre, ne te gêne pas pour m'écrire souvent et me tenir au fait de l'évolution de ta situation.
P.S. : N'oublie pas de me dire si Blake est toujours aussi abruti.
P.P.S. : Te souviens-tu des comptines que nous chantaient notre arrière-grand-père ? Il y a fort à parier que quelques secrets y sont cachés.
« Dame Valérie qui était sage avait trois filles bien jolies, la reine d'Anjou dans son jeune âge, se faisait bien du souci »
Voilà qu'il lui écrivait des chansons pour enfants. Qu'allait-on faire de lui dans l'armée ? Et cette histoire de dame Valérie, cela avait-il un rapport avec la recette à base de valériane dont elle s'était souvenue quand Hadès avait été si mal ?
Dans l'enveloppe, il y avait d'autres feuillets.
VOUS LISEZ
Quand les loups se mangent entre eux
Paranormal1854 Les jumeaux Cassandre et Arcas sont des meneurs de loups. Une hérédité dont ils se seraient bien passés. Elle vient de couter la vie à leurs parents, assassinés par de mystérieux hommes en noir, possédant des pouvoirs surnaturels qui même à l...