Chapitre 73 - Constantinople

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Diana chargea son panier en osier sur son bras. Jimmy en portait un similaire. Elle redressa sa casquette et épousseta la veste de laine épaisse qu'elle lui avait acheté pour qu'il puisse affronter les vents de l'hiver sur les rives du Bosphore. Il lui offrit en retour un petit sourire en coin, l'adolescent commençait à s'habituer à son attention toute maternelle. Puis ils passèrent le portail du jardin des Bergmann.

De temps à autre, comme ce matin, pour échapper un peu à Ludmilla, au surnaturel, aux grimoires et aux horreurs qui y étaient consignées, Diana avait décidé de venir en aide aux nécessiteux dans un petit dispensaire au sud de l'hôtel particulier, dans le quartier d'Eyüp.

Elle s'y rendait toujours les bras chargés de tous les remèdes et les victuailles qu'elle pouvait dénicher.

Jimmy lorsqu'il n'était pas en mission lui tenait compagnie et profitait de l'hospitalité des Bergmann. Il était à présent reluisant comme un sou neuf, les joues roses, les cheveux brillants et avait gagné au passage quelques kilos dont il avait grand besoin. Diana s'était vraiment attachée à lui. Elle aurait voulu qu'il démissionne de l'armée et l'engager à son service pour qu'il soit en sécurité. Il ne serait pas toujours trop jeune pour le champ de bataille. Dans quelques temps, on ne le chargerait plus seulement de faire quelques transmissions entre les officiers qui avaient pris leur quartier d'hiver à Constantinople loin des lieux des opérations. On lui mettrait une arme entre les mains et à la seule idée qu'il puisse être blessé ou pire... elle était malade d'angoisse. 

Et le souvenir de sa petite Marianne, froide dans ses bras, son petit corps sans vie et le vide qu'elle avait laissé dans son cœur se mélangeait à ses nouvelles craintes. Comme si se tordre les mains en pensant aux dangers que courraient Arcas ne suffisait pas. Tout ceux à qui elle s'attachait devaient-ils être en péril ? C'était évidemment de sa faute. Elle aurait pu choisir de rester en Angleterre. À présent que Richard était mort, la vie aurait pu y être paisible et baignée dans une bienheureuse ignorance des horreurs de la guerre. Sans angoisse, mais sans ces joies intenses, sans l'excitation d'être pleinement en vie et sans cet impossible Baron d'Arlon.

Alors qu'elle descendait tranquillement vers le dispensaire, elle se sentit rougir violemment. Le vent froid qui venait du nord arrivait à peine à rafraîchir son visage. Le courrier qu'elle avait reçu hier des mains d'un certain Azad était proprement scandaleux. Comment osait-il tenir un tel langage ? Si la lettre avait été interceptée, elle passerait pour une dévergondée. Voilà le résultat lorsque vous laissez des messieurs loin de la compagnie de dames de qualité durant plusieurs mois, ils oublient leurs bonnes manières. Ses sous-entendus à peine voilés étaient révoltants... et terriblement troublants. Si elle avait imaginé qu'après ses années d'enfer à devoir subir les assauts de son ignoble mari, elle se retrouverait dans un tel... état d'esprit. Elle se sentait folle de ressentir de telles choses. Et pour un meneur de loups ! Et pour un Harispe de surcroît ! C'était l'éloignement sans aucun doute, elle fantasmait Arcas, l'idéalisait. Quand elle le reverrait, elle se rendrait compte qu'il n'était pas si charmant, que ses yeux étaient trop rapprochés ou son nez trop grand. C'était faux évidemment pour s'en assurer, elle avait sa photo, glissée entre les pages d'un roman à coté de son lit et il était odieusement parfait. Il ne lui facilitait pas la tâche.

Elle se secoua et décida de ne plus y songer, elle avait mieux à faire que de penser à ce fichu capitaine, à ses yeux limpides, à sa bouche sensuelle, à ses larges épaules, à ses longues jambes... Elle se maudit, les dents serrées.

Elle se tourna vers Jimmy. Il avait une moue concentrée et marchait avec précaution pour ne pas trébucher sur les pavés et les chiens qui venaient renifler son panier. L'un d'entre eux, une petite chienne maigrichonne qui tenait du lévrier, semblait particulièrement déterminée et les suivaient depuis la maison. Elle avait déjà eu le droit à quelques morceaux de poulets aux cours des dernières semaines et avait flairé la bonne affaire. Elle les escortait à présent à chaque sortie. Elle ressemblait à un rat juché sur des pattes d'araignées, se dit en riant Diana.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant