Le lendemain, accompagnés par tante Honorine, Gaëlle et Aidan se rendirent dans un élégant landau bleu nuit chez Mrs Bailey, une des couturières plus réputées de Londres et ce depuis des décennies.
Ils furent accueillis avec beaucoup de prévenance.
Ils étaient des habitués des lieux, Brogan accompagnait régulièrement Honorine ici. Il voulait absolument que sa tante ait ce qu'il se faisait de mieux.
– Un tel joyau ne mérite-t-il pas les plus beaux ornements ? Demanda-t-il en riant, saisissant sa tante par les épaules, il lui appliqua un baiser sonore sur la tempe. Les couturières de l'atelier pouffèrent, ce qui leur valut un clin d'œil de connivence.
– Cesse donc tes pitreries mon garçon, nous n'avons pas de temps à perdre avec tes gamineries. Des choses sérieuses nous attendent aujourd'hui.
– J'aimerais une robe dans une teinte tourterelle, suggéra Gaëlle.
– Le joli mot pour dire que tu veux une robe grise ! Soupira Aidan.
– Surtout pas, s'exclama tante Honorine en même temps.
Gaëlle aurait voulu des couleurs neutres pour ne pas jurer avec sa flamboyante chevelure. Il semblerait que personne, ni les couturières de l'atelier, ni Honorine, ni Aidan, ne soient de son avis.
– Du bleu ! Ordonna Honorine.
– Pourquoi pas, mais il lui en faudra une dans un vert amande, assortie à ses yeux. À présent, je vais attendre à côté que vous ayez besoin de moi. Mesdames.
Le jeune homme s'inclina respectueusement avant de sortir.
***
Aidan resta assis dans un petit salon réservé aux messieurs en lisant son journal. Il utilisait des garçons de course pour envoyer des messages aux quatre coins de Londres, mais la plupart du temps, il se contentait de griffonner ses idées dans son petit carnet noir.
Le problème découvrit Gaëlle, ce n'était pas Aidan (cela représentait une véritable nouveauté) mais bien la douce et tendre tante Honorine. La vieille dame semblait la prendre pour une poupée et s'amusait comme une folle. Elle était bien décidée à lui acheter plus d'une dizaine de tenues et tous les accessoires qui allaient avec. C'était de la démence.
Au bout d'un moment Gaëlle réussit à échapper aux griffes de cette dangereuse fanatique du velours et de la dentelle.
– C'est beaucoup trop. Je n'en peux plus.
Brogan haussa les épaules. Insensible à sa détresse, il était en train de plier une feuille de papier.
– C'est une grue, regarde.
– C'est très joli.
– Ça me détend d'en faire. C'est un marin japonais qui m'a appris à exécuter ce genre de pliage, c'est un art chez eux, ils appellent ça l'origami.
– Tu es allé au Japon ?
– Non. J'ai croisé cet homme aux Indes néerlandaises. Un jour, quand tout cela sera fini, je reprendrais la mer. Mais avant je dois trouver ces hommes en noirs. Ils me donnent beaucoup de travail en ce moment.
Il eut un soupir las, et alors seulement Gaëlle remarqua les cernes violacés sous ses yeux.
– On dirait que les choses s'accélèrent, continua-t-il.
– Cela a un lien avec le courrier que tu reçois ? J'ai remarqué qu'il y en avait beaucoup.
– Je suis un homme d'affaire. On me tient au courant de beaucoup de choses mais au milieu de lettres parfaitement banales, se cache parfois un courrier en rapport avec ces sinistres assassins. Je ne peux pas avoir de secrétaire à cause de cela. Comment lui expliquerais-je la situation ? Non, ces gens qui nous écrivent ne sont pas fous ! Nous faisons partis d'un club très fermé qui s'envoie des histoires abominables comme Byron, les Shelley et Polidori le faisaient en leur temps ! Cela nous amuse follement ! S'exclama-t-il avec un ton ampoulé.
Gaëlle pouffa.
– Je pourrais t'aider, trier ton courrier tant que je suis à Londres.
– Tu vas être occupée avec tes propres recherches.
– Je le ferais durant le petit déjeuner. Il ne s'agit que d'ouvrir du courrier, de le survoler et d'en faire deux piles. Je ne suis pas plus stupide qu'une autre. Je devrais y arriver.
– Tu n'es pas obligée.
– Mais je veux me rendre utile. J'aurais l'impression d'aider à faire avancer notre affaire.
– Notre ? Ah oui, c'est vrai. Tu as un faible pour Arcas Harispe d'Arlon, l'homme trop beau pour être peint.
Elle se mit à glousser franchement.
– Il est vrai qu'il est un modèle fascinant et c'est un ami je crois, mais je pense surtout à Cassandre qui se morfond, abandonnée, dans ce château maudit. Si au moins elle avait des réponses au sujet de ses parents, cela lui enlèverait déjà un poids des épaules. Elle a beau dire dans ses lettres que tout va bien, je sens que le cœur n'y est pas.
– Je ne sais pas si c'est une bonne idée de te mêler de cette affaire, cela pourrait être dangereux.
– Les Harispe sont mes amis. Et... Et Jane le serait devenue j'en suis sûre.
Ému, Aidan se pencha sur son origami en prenant bien garde de ne pas croiser son regard.
– Le marin qui m'a appris ce pliage m'a dit que si on en faisait mille on avait droit à un vœu.
La ficelle pour changer de sujet était un peu grosse, mais elle s'en saisit sans lui en faire la remarque.
– Quel vœu feras-tu ?
– Je ne vais pas te le dire Gaëlle. Mais si tu crois que je ne vois pas ton manège, tu te fourres le doigt dans l'œil ?
– De quoi parles-tu ?
– Je n'aurais jamais cru ça de toi ! Trop lâche pour affronter une vieille dame et une bande de couturières !
– Ce n'est pas de la lâcheté, c'est juste... trop. Elles veulent m'habiller comme une grande dame. Mais je me pose des questions. Est-ce que j'en ai le droit ? Est-ce que ce n'est pas un mensonge ?
– Miss Gaëlle Shaw, tu es une grande dame et si qui que ce soit dit le contraire...
– Quoi ? Tu lui mettras ton poing dans la figure.
– Bien sûr que non ! Je n'ai pas envie de me casser un ongle, par contre si toi tu lui mettais ton poing dans la figure, je t'encouragerais du coin du ring.
– C'est trop d'honneur.
– Allez ! Je t'encourage déjà. Va affronter Honorine.
– Mais où est cette enfant !
La voix de la vieille dame résonna dans toute la boutique.
– Te voilà ma chérie ! Aidan ! Je t'interdis de la distraire, nous sommes très occupées. Quel velours pour une tenue d'Amazone ?
Devant le silence de Gaëlle, sa tante se tourna vers Brogan.
– À ton avis mon garçon ?
– Le vert émeraude.
– Mais tu n'aimes que le vert ma parole.
– C'est ce qui lui va le mieux. Quand elle en porte, elle ressemble à un petit esprit de la forêt.
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Quand les loups se mangent entre eux
Paranormal1854 Les jumeaux Cassandre et Arcas sont des meneurs de loups. Une hérédité dont ils se seraient bien passés. Elle vient de couter la vie à leurs parents, assassinés par de mystérieux hommes en noir, possédant des pouvoirs surnaturels qui même à l...