Chapitre 29 - Le Lien

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Elle ressentit un frisson violent le long de sa colonne vertébrale et une chaleur tout aussi puissante dans son cœur. Il battit férocement durant un bon moment, comme s'il avait perdu son rythme et essayait par tous les moyens de le retrouver en se lançant dans un staccato furieux qui la fit se plier en deux de douleur. Ses yeux toujours plongés dans le regard tendre de la créature, son corps finit par s'apaiser, ses tremblements cessèrent et son cœur retrouva un tempo plus régulier.

Elle s'agenouilla près du corps de l'immense chien, faisant fi du fait qu'elle détruisait sa tenue d'amazone, sans tenir compte de la crasse, de l'odeur pestilentielle et sûrement des puces. Elle posa la main sur sa large tête.

Elle était liée à lui, c'était aussi simple que cela. Elle avait perçu le même bien être après qu'Artie était venue à elle.

Un meneur de loups, même aguerri, pouvait vivre toute sa vie auprès d'un chien, l'aimer, le soigner sans jamais obtenir ce cadeau, car c'était un choix de l'animal de partager sa vie avec un meneur.

Son nouveau compagnon était un mâle. Et il avait beaucoup souffert, il était confus. Malgré tout, elle sentait qu'il avait une nature d'une grande douceur. Il avait fait un long voyage pour la trouver. Elle se tourna vers Artie, qui, d'un regard lui signifia qu'elle acceptait qu'il fasse parti de la meute, mais aussi qu'elle le sentait très faible et qu'elle craignait qu'il ne survive pas.

Cassandre acquiesça d'un signe de tête, la pauvre bête était à bout de force, il ne pourrait pas faire un pas de plus et puisqu'elle avait fait le deuil de sa robe, elle saisit le chien à bras le corps. Il était famélique mais pesait encore plus d'une trentaine de kilos. Rien d'insurmontable pour elle, mais elle avait beau le soulever aussi haut qu'elle le pouvait, ses pattes traînaient au sol de part et d'autre. Cet animal était gigantesque. Doucement, pour ne pas prendre le risque de tomber en trébuchant, elle rejoint la forge de Cattown sous le regard curieux des badauds, qui se demandaient bien pourquoi une lady transportait une masse puante et grouillante de vermine. Si quelques messieurs s'avancèrent pour l'aider, ils reculèrent bien vite devant l'odeur écœurante. Cassandre, elle-même avec son odorat très fin en avait la nausée, mais elle n'avait pas le temps de jouer au demoiselle délicate et raffinée portant leur mouchoir parfumé à leur nez à la moindre senteur un peu forte. Son chien allait peut-être mourir avant même qu'elle ne le connaisse.

Monsieur Blair accepta de lui prêter une charrette. Le fils du forgeron, Johnny, âgé d'une douzaine d'années, reconduirait Scamandre au château. Le gamin monta sur son dos, fier comme Artaban, mais après que l'étalon ait rué, le faisant voltiger en l'air comme une pauvre poupée de chiffon et ait essayé de le mordre de ses grandes dents blanches, le petit adopta une attitude plus modeste. Il flatta l'encolure luisante comme du métal poli du cheval andalou pour tenter de l'amadouer. L'animal frémit et souffla bruyamment des naseaux pour signifier qui était le patron et accepta finalement d'avancer, même si franchement il n'avait pas besoin de nounou pour rentrer.

Johnny, conscient qu'il ne pourrait pas se permettre des folies avec le caractériel Scamandre, chevaucha gentiment à côté de la charrette que conduisait lady Blake.

– Pourquoi vous avez sali votre robe Milady ? Il va crever ce chien. Il pue la mort ?

– Mon petit, je ne crois pas que tu saches ce que sent la mort ? Lui sent la crasse et la merde.

Le gamin pouffa. Il ne connaissait pas beaucoup de ladies mais il était certain qu'elles n'étaient pas censées dire "merde".

– Ne répète à personne que j'ai dit ça. Les gens pourraient penser que je ne suis pas une vraie dame.

– Les dames ne portent pas de chiens puants grands comme des ânes. Elles ont de minuscules roquets, qui ne touchent jamais le sol et aboient tout le temps. Mais bon, ils vivent longtemps eux.

– Peut-être. Celui-là n'est sûrement pas un élégant petit chien de manchon, mais on va le sauver tu vas voir.

– J'ai peur que vous ayez de la peine, c'est tout. Il a l'air au bout du rouleau.

– Je lui donne une chance sur deux. Tout dépendra d'une seule chose.

– De quoi Milady ?

– Est-ce que c'est un battant ? Je pense que oui.

– Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? Demanda Johnny en lançant un regard sceptique au chien qui respirait avec peine au fond de la charrette.

– Il a fait un long voyage pour arriver jusqu'ici. Voyager sans rien, sans protection et sans savoir ce qui nous attend, ça demande du courage.

– Papa le dit aussi. Mais qui vous dit qu'il n'est pas du coin ?

Elle lui lança un mystérieux petit sourire.

Le gamin se dit que sa grand-maman avait parfois le même. Il lui sourit de toutes ses dents et hocha vivement la tête d'un air entendu. Scamandre qui n'aimait pas cette agitation s'ébroua et Johnny s'accrocha à la selle. Cassandre éclata de rire en voyant l'expression horrifiée du petit.

– Ce n'est pas un jouet sur lequel vous êtes juché monsieur Blair. N'oublie jamais qu'un animal fera toujours ce qu'il voudra au bout du compte. Et quand l'animal fait cinq cent kilos, ça peut faire mal.

– C'est pour ça qu'il faut toujours traiter les bêtes avec respect.

– Exact, lui ne l'a pas été, dit Cassandre en désignant le chien malade qui ne la quittait pas des yeux. 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant