Joshua claquait des dents, allongé dans sa baignoire sous plusieurs seaux de glace, une poche de glaçons appliquée sur l'œil. Il avait l'impression d'avoir été un parfait crétin la journée durant. Avoir reçu une bonne correction était sans doute ce dont il avait besoin pour se remettre les idées en place.
Bizarrement, s'il avait l'impression que pas un centimètre carré de son corps n'échappait à une douleur cuisante, son cerveau fonctionnait mieux que depuis des semaines, sans doute buvait-il trop depuis qu'il était de retour à Londres, ces fêtes, ces soirées, le fichu Porto de Margaret. S'il ne voulait pas devenir un ivrogne, il allait falloir qu'il lève le pied, enfin sauf avec le Porto, après tout cela faisait tellement plaisir à la jeune femme qu'il en boive, même s'il avait tendance à le trouver trop sirupeux. Pourtant elle méritait bien qu'il supporte cela.
Par, il ne savait quel miracle, elle le protégeait des fantômes. Sa présence à ses côtés avait l'effet d'un baume sur son âme, elle était pour lui comme un linge frais que l'on appliquerait sur les yeux d'un naufragé, brûlés par le soleil. C'était ça l'amour se disait-il. Mais rien, ni les distractions dans lesquelles elle le plongeait sans cesse, ni sa voix enchanteresse, ni ses charmes n'arrivaient à éloigner bien longtemps de son esprit, le fait qu'il avait une femme dans le Gloucestershire. Une femme arrogante, tyrannique et caractérielle, soit dit en passant.
Même dans son bain, même recouvert d'hématomes et elle à des dizaines de kilomètres, Cassandre était la plus grande nuisance de sa vie. Quelle idée stupide cela avait été de l'épouser ! Jamais il n'aurait dû céder, ni à son père, ni à Margaret. Seulement c'était toujours ainsi, il disait non, tempêtait autant qu'il était humainement possible, mais dès qu'on le prenait par les sentiments, que ce soit son vieux père ou sa belle maîtresse, il se laissait manipuler comme un pantin. Mais s'il refusait, ils ne l'aimeraient plus. N'est-ce pas ? Et il serait tout seul, pour toujours reclus dans les caves du château.
Il replongea bien malgré lui, des années plus tôt, durant ces longues heures où il était enfermé dans ce petit réduit, sa mère de l'autre côté. Elle lui parlait sans cesse entre les planches de bois disjointes de la porte. Entre les interstices, ses longs cheveux noirs et bouclés semblaient se frayer un chemin. Joshua les caressait, il essayait de calmer Noémie, en vain.
– Fait ce que je te dis ! Tu n'es qu'un sale petit ingrat ! C'est toi qui devrais être mort ! Adrianna écoutait ce que je lui disais, elle ! Elle voulait faire plaisir à sa maman. C'est pour ça que tout le monde l'aimait. Toi, tu es comme ton père, tu n'es qu'un lâche ! Fais plaisir à maman. Et maman t'aimera. Maman t'aimera toujours.
De rage, il jeta sa poche de glace au sol.
Il détestait penser à ses jours où sa mère l'avait retiré d'Eton alors que son père était encore parti dieu sait où. Il avait eu un mauvais pressentiment quand elle lui avait pris la main pour le traîner hors des murs de son école. Elle lui avait semblé si exaltée. Il se souvenait du visage inquiet de Brogan à la fenêtre du dortoir lorsqu'il était parti. Lui n'était pas aveuglé par l'amour qu'un petit garçon porte à sa mère et il avait su que les choses tourneraient mal.
Il se rappelait encore de la voix aux accents chantants de sa mère qui parlait sans cesse :
– Nous allons être si heureux ! Nous allons bien nous amuser ! Ce sera une grande aventure.
Il n'avait rien dit. Il savait à quel point elle souffrait, il avait pensé pouvoir l'aider, mais il n'avait fait qu'empirer les choses.
Son l'œil le tiraillait à nouveau. Il sortit son bras du bain, et à tâtons rechercha sa poche de glace. Le cockney ne l'avait pas raté.
Sa main en rencontra une autre, petite et encore plus froide que la sienne. Il se pencha par-dessus le rebord par réflexe et rencontra le regard de la jeune soubrette, Estelle, morte depuis des décennies qui hantait la maison.
– Je cherche les lorgnons de ma maîtresse, lui murmura-t-elle.
Il essaya de fuir son regard, mais elle le suivait se tordant encore et encore de manière grotesque.
– Il faut m'aider à retrouver les lunettes de ma maîtresse, monsieur.
Il ferma les yeux pour échapper globes ternes profondément enfoncés dans leurs orbites qui le dévisageaient avec insistance.
S'il ne la regardait pas, elle partirait.
Il sentit un poids sur sa poitrine.
Inquiet, il entrouvrit alors les paupières.
Elle se tenait debout sur son torse comme si de rien n'était. Ses jupes aspiraient l'eau du bain, un signe supplémentaire qu'elle interagissait avec son environnement.
– Si je ne les retrouve pas, je serai battue.
En un geste d'une vivacité incroyable, elle tendit les poings vers lui, les ouvrit doucement, dévoilant des zébrures à vif. Elle écarta les doigts et il entendit le bruit écœurant d'une plaie mal cicatrisée qui s'ouvre à nouveau. Du sang s'écoula de ses paumes, d'abord quelques gouttes, rapidement des flots, qui remplirent la baignoire, imprégnèrent la robe de la soubrette qui se teinta de rouge. Elle l'empêchait toujours de se redresser. Le niveau montait, il en avait jusqu'au cou. Puis le sang se tarit et les mains d'Estelle noircirent, puis ses bras se desséchèrent à leur tour
– Il faut m'aider à retrouver les lunettes de ma maîtresse, répétait-elle, encore et encore.
À présent, il l'entendait à peine, ses oreilles étaient sous l'eau et elle appuya sur ses épaules et le plongea entièrement dans la baignoire remplie de sang. Il avait beau lutter, il n'arrivait pas à repousser cet esprit. Ses poumons étaient en feu. Il se sentait mourir.
Puis tout s'arrêta.
Il sortit la tête de l'eau claire où quelques glaçons flottaient toujours. Il avait répandu la moitié du contenu de la baignoire sur le plancher.
Groggy, plus encore qu'après son combat à la salle de boxe, il sortit de la cuve. Il se sécha à la diable, saisit les premiers vêtements qu'il trouvait et se précipita chez Margaret. Arrivé devant sa porte, il ne se rendit compte qu'il ne se souvenait même plus de son trajet. Avait-il couru jusqu'ici ? Pris un fiacre ? Aucune importance. Il tambourina.
Janet voulut lui barrer le passage, quand elle vit son visage tuméfié et son aspect déplorable. Il la poussa sans ménagement et monta les escaliers. Il trouva sa maîtresse, sagement assise devant son bonheur du jour, à écrire son courrier dans un déshabillé qui n'avait rien de sage. Il se jeta littéralement à ses pieds, posa la tête sur son giron sans un mot.
– Mais que vous arrive-t-il mon pauvre amour ? Murmura-t-elle en lui caressant les cheveux.
Il ne répondit rien, se contentant de serrer et de desserrer les poings se remémorant les horribles plaies de la pauvre Estelle.– Je vais m'occuper de vous. Je vais veiller sur vous. Je vais vous protéger. Il n'y a que moi qui sache comment éloigner les mauvais rêves qui vous hantent.
D'un signe de tête, elle demanda à Janet qui se tenait dans l'encadrement de la porte, de rapidement fermer la porte du cabinet au fond du dressing-room.
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Quand les loups se mangent entre eux
Paranormal1854 Les jumeaux Cassandre et Arcas sont des meneurs de loups. Une hérédité dont ils se seraient bien passés. Elle vient de couter la vie à leurs parents, assassinés par de mystérieux hommes en noir, possédant des pouvoirs surnaturels qui même à l...