Gloucestershire - Angleterre
Mrs Stampton avait été dotée d'une constitution robuste qui lui avait permise, et elle en nourrissait une grande fierté, d'affronter la tête haute, une existence qui avait eu son lot de malheurs.
Elle entretenait sa santé par de longues marches qu'aucune femme du comté, quel que soit son âge, ne se tenterait d'entreprendre à un rythme si régulier et si soutenu.
Elle avait ses habitudes durant ses excursions, ses points de vue favoris desquels elle pouvait observer le château de Churbedley et son parc en friche, les cours des fermes et les jardins des maisons bourgeoises. Puis elle retournait, le pas alerte, toujours à l'affût du moindre commérage, au village de Cattown où, depuis près de deux ans, elle se rendait au bureau de poste tenu par Mr. Baker.
Personne ne se méfiait de cet homme pour la simple et bonne raison que personne ne le remarquait. Il avait le physique parfait de l'employé de bureau, presque une caricature. Long et maigre, portant de petites lunettes rondes, une chevelure d'un terne et une barbe épaisse. S'il n'était pas tout à fait repoussant, on ne trouverait personne pour découvrir dans ses traits quoique ce soit d'admirable. Il en allait de même pour ses facultés intellectuelles, puisque si on ne l'avait jamais entendu dire une chose totalement stupide ; de mémoire d'homme on ne se souvenait pas non plus que jamais un mot d'esprit n'ait franchi la barrière de ses lèvres fines au pli légèrement flasque.
Pourtant, il y avait chez lui une particularité tout à fait extraordinaire, bien qu'invisible : une ouïe hors du commun. Doublé à ce que personne ne se souciait jamais de sa présence, et au fait qu'il était parfaitement au fait de qui recevait du courrier et de quelle provenance, vous obtiendrez un homme qui était au courant d'une bonne moitié des secrets plus ou moins avouables du comté. Mrs Stampton et ses yeux fureteurs étaient quant à elle détentrice de l'autre.
Et chaque jour depuis qu'il était venu s'installer à Cattown, lorsqu'ils étaient seuls, généralement aux environs de trois heures de l'après-midi, dans le petit office poussiéreux du bureau de poste fané, ils recoupaient leurs observations. Et deux cervelles médisantes travaillant de concerts, si modestes soient-elles aux départs parvenaient parfois à tomber juste. Ne trouvez-vous pas cela absolument terrifiant ? Même la plus crasse des bêtises ne saurait protéger les honnêtes gens des commérages et des délations.
***
Chère Mrs Bailey
Je vous envoie toutes mes salutations et j'espère vous trouver en bonne santé et comme toujours prospère dans vos affaires.
Je vous assure que ces lettres que je vous expédie sont une oasis dans ce désert de perditions dans lequel je vis. Jamais je ne manquerais de respect à notre bien aimée mère l'Angleterre, mais je le jure, nous vivons dans la nouvelle Gomorrhe, même nos vertes campagnes sont le siège des pires vices que l'on puisse imaginer. Dans ma propre paroisse, ma plus proche voisine pèche par un démesuré orgueil en prétendant que sa tarte à la rhubarbe surpasse la mienne sur tous les plans. Pouvez-vous imaginer cela ? Cette tarte que notre si tendre préceptrice Miss Halle, du temps de notre prime jeunesse, avait élevé au panthéon des desserts, vous en rappelez-vous, ma chère Patricia ? Je soupçonne cette femme malveillante de s'adonner à la boisson et à l'astrologie, je m'abaisse à lui adresser la parole seulement par bonté d'âme évidemment.
Mais bien sûr, je suis certaine que vivant à Londres cela ne doit plus vous choquer, vous devez être témoin de tant d'horreurs, que vous avez la décence et la délicatesse de m'épargner dans vos propres lettres ! Cependant n'en faites rien, je suis arrivée à un âge où l'on a conscience de la noirceur de l'âme humaine. Je vous en prie Patricia ne m'épargnez pas par crainte que je ne sois épouvantée par celle-ci, car elle ne fait que raffermir mon esprit et ma foi en notre seigneur tout puissant en attendant son dernier jugement. Racontez donc moi ce qui se dit à la capitale sans appréhension car cela ne peut m'atteindre que pour me pousser plus avant sur la voie de la bienséance.
Il y a aussi de grandes nouvelles dans notre petit comté qui peut-être vous intéresseront car je crois que feu la pauvre Comtesse fut l'une de vos clientes (qui aurait pu croire que le chagrin lui ferait perdre la raison et adopter un si indigne comportement ?). Le fils du Comte Bronson, Lord Joshua Blake va se marier à sa fiancée de longue date que tout le monde avait oubliée. Une Française ! La fille d'un baron quelconque qui aurait sauvé la vie du comte, il y a des années en France ou en Italie. Nous n'en connaissons rien ici, même si le père a semble-t-il rendu visite quelque fois au comte. Et je vous le dis, tout cela est une affaire bien étrange. On prétend, et je le tiens d'une source on ne peut plus sûre, que le comte serait sujet à un chantage, ne serait-ce pas abominable ? Sinon pourquoi une alliance si indigne. Et il court des bruits sur cette famille, à vous en faire dresser les cheveux sur la tête, les parents aurait été assassinés il y a moins d'un mois. Se marier sans même respecter une période de deuil. Quelle abomination !
J'irai au mariage, je verrai de mes yeux cette petite péronnelle et je tenterai d'en savoir davantage. Il ne sera pas dit que je serais incapable de tirer toute cette histoire au clair.
En espérant recevoir bientôt de vos nouvelles,
Votre amie, Mrs Henriette Stampton.
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Quand les loups se mangent entre eux
Paranormal1854 Les jumeaux Cassandre et Arcas sont des meneurs de loups. Une hérédité dont ils se seraient bien passés. Elle vient de couter la vie à leurs parents, assassinés par de mystérieux hommes en noir, possédant des pouvoirs surnaturels qui même à l...