Ces cents mètres qui les séparaient de la poudrière parurent à Arcas se multiplier à l'infini. Ils durent repousser les morts qui les assaillaient de toutes parts uniquement armés de leur courage.
Les tuer n'avait plus d'importance, pour sauver leurs vies, éviter leurs dents et leurs doigts griffus, était la seule chose qui comptait.
Ces abominations s'accrochaient aux brandebourgs de l'uniforme d'Arcas, à ses cheveux, Cerberus grognait, tourbillonnait sur lui-même pour repousser cette masse indistincte qui s'agrippait à lui, arrachait ses poils par poignées, hameçonnait sa chair comme les vagues mouvantes d'une mer de fils barbelés.
Quand ils furent à quelques pas de la porte certains hommes héroïques ou peut-être fous, firent une percée en dehors de leur abri fortifié et leurs dégagèrent la route à coups de fusils, de pieds, de crosses, faisant remparts de leurs propres vies pour sauver celle d'un seul frère d'armes et de son chien.
Dès qu'ils se furent tous repliés sains et saufs derrière le portail, Arcas, essoufflé, se laissa tomber au sol et c'est à peine s'il vit l'agitation de ceux qui barricadaient à nouveau l'entrée de leur refuge.
Cerberus se laissa choir près de lui. À la lumière des lampes à huiles, il semblait beaucoup moins effrayant que sous les rayons blêmes d'un croissant de lune, à tout dire, il était pitoyable. Arcas souleva la main et donna une caresse machinale à cette si brave bête.
Alors qu'il reprenait son souffle, il vit des soldats portant des uniformes de toutes les armées de la coalition s'activer. Ils se repositionnèrent devant le portail. Quelques-uns y accumulaient des planches, des tonneaux... une tentative dérisoire d'éloigner le danger par ce rempart de fortune supplémentaire ou alors luttaient-ils contre leur sentiment d'impuissance. Charlier était là, dès qu'il eut apporté sa contribution à l'ouvrage, (un banc vermoulu qui ne ferait pas une grande différence si les portes étaient enfoncées), il se précipita vers le baron, s'agenouilla à ses côtés et sans autre forme de procès le serra dans ses bras.
– Oh mon gars si vous saviez comme je suis désolé de ne pas être venu vous libérer de votre cachot, ! Mais quand on a débarqué pour demander les clefs de la prison au général, nous n'avons pas même eu le temps d'entrer dans le bâtiment qu'il faisait visiter aux autres grands pontes... qu'on nous attaquait. De vrais fous furieux ! Et ils ont entraîné Granbert ! Et ils l'ont déchiqueté vivant ! Et... c'est pas humain capitaine.
La voix de Charlier s'étrangla dans un hoquet douloureux. S'il survivait à ces évènements, il serait hanté le restant de ses jours par la mort de son ami. Ils s'étaient sortis, épaules contre épaules de tant de batailles, avaient échappé aux épidémies, aux boulets de canons et aux coups de sabres, mais pas à cette chose innommable qui dépassait l'entendement du pauvre homme.
Arcas soupira et en se relevant, il donna une tape dans le dos du major, il essaya de mettre dans ce geste toute la sympathie et le réconfort dont il était encore capable, mais cela ne représentait plus grand chose. Il se faisait l'effet d'un hypocrite au cœur sec.
***
Il y a quelques années, alors qu'il était un jeune gandin, qui usait encore ses fonds de culottes sur les bancs de Saint-Cyr, un de ces camarades l'avait invité à Paris cher son père qui y vivait. C'était un grand bourgeois, un de ces hommes d'argent qui ne voulait rien d'autre que se faire adopter par l'aristocratie, et qui courtisait tout ce qui avait ou aurait un titre, un titre ou un quart de noblesse, fut-il un gamin de treize ans.
Ce Mr Pourriol, lui avait donc fait visiter son hôtel particulier, et lui avait même fait les honneurs de son cabinet de curiosités, une pièce quadrillée du sol au plafond d'étagères, de caissons et de niches. Chacun était le réceptacle de : soit un coquillage aux dimensions extravagantes, soit un oiseau empaillé au plumage remarquable, ici une porcelaine aux motifs bleus si fine qu'elle en devenait translucide, là le squelette d'un animal étrange. Le bourgeois avait une merveille qu'il prétendait, chérir plus qu'un empire. Derrière lui, son fils qui avait sans doute entendu mille fois son père s'enthousiasmer pour ses vieilleries, fit une grimace d'ennui, mais Arcas, qui avant de rejoindre le collège n'avait jamais quitté son lot natal, était fasciné par ces trésors exotiques venant des quatre coins du monde et intrigué, s'approcha de Mr Pourriol qui trépignait presque d'impatience. Ce dernier souleva une cloche de verre et dévoila un pot de faïence d'une magnifique nuance de bleu turquoise vif. Le récipient était recouvert de motifs noirs mystérieux.
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Quand les loups se mangent entre eux
Paranormal1854 Les jumeaux Cassandre et Arcas sont des meneurs de loups. Une hérédité dont ils se seraient bien passés. Elle vient de couter la vie à leurs parents, assassinés par de mystérieux hommes en noir, possédant des pouvoirs surnaturels qui même à l...