Après vint quatre heures de sommeil quasi sans interruption, je retrouve un semblant d'apparence humaine. Je conserve cependant ce mode de vie qui commence à 16h pour finir à 17h30. J'ai oublié le jour de mon dernier shampoing et une partie de moi s'en contrefiche comme d'une guigne. Je traine en pull et en short comme une loque.
Le plaid de mamie a rejoint les autres sacro-saints pilou et les édredons. J'ai également commencé à feuilleter les albums et jeté quelques clichés des amis de la famille en 1931, dont j'ignore même le nom. Quelle chose étrange, les albums photos des grand-parents. Toutes ces âmes oubliées sur des clichés noir et blanc ou à moitié cramés. Des salopette pattes d'eph, des tailleur à grand col, chaussettes blanches et mocassins, des cheveux permanentés aux bigoudis. Qui est qui ? À quoi ressemblait René, le frère de mamie, quand il était jeune ? Il faudrait que je demande à papa.
Je l'ai appelé en rentrant de Limoges et il m'a écoutée d'une oreille distraite, comme si j'étais folle. Je me demande s'il m'en veut toujours d'être la seule à avoir hérité de la maison. Je pensais que la famille, c'était un peu plus important que quelques histoires de gros sous. Surtout quand, comme moi, il a reçu une coquette somme du vivant de mamie. Papa n'est clairement pas à plaindre. Maintenant, je n'ai plus du tout envie de lui passer un coup de fil. Sans doute qu'à l'aube de sa vie, lui aussi lèguera ses biens aux enfants de sa fille aînée, et pas à son ingrate cadette poil de carotte.
J'éteins mon téléphone pour que personne ne puisse me joindre. Ni papa, ni maman, ni Corine, ni Julie. J'ai comme une grosse envie que tout le monde me fiche la paix.
Je me réveille le lendemain au bruit des coups frappés à ma porte. Je me suis endormie sans m'en rendre compte. 13h. Pour moi c'est comme me faire sortir du lit aux aurores. Je ne me souviens plus ce que j'ai commandé sur internet avant de partir dans le Limousin, mais pour une fois je ne serai pas obligée de me déplacer à la poste. Je ne prends même pas le temps de m'habiller ni de m'arranger avant d'ouvrir au livreur.
L'homme sur le pas de ma porte est passablement essoufflé mais n'a pas de colis à la main. Zut, je me souviens que j'avais commandé une box de thés exotiques, je m'en serais bien préparé un.
— Mademoiselle Kashinsky ?
— Oui.
Je vois qu'il me regarde comme s'il était censé me reconnaître, sans arriver à me remettre. C'est alors que c'est moi ,qui le remets. Méconnaissable sans les joues rougies par le froid et le bonnet bleu marine, le lieutenant Rivière se tient là, plié en deux à reprendre son souffle sur mon paillasson.
Il semble complètement à côté de ses pompes, comme s'il s'était trompé d'adresse. Apparemment moi non plus je n'ai plus les joues rouges, la parka et les sabots. À la place, je.... oh mon dieu. Je suis en short, pas épilée depuis deux bons mois. Le rouge me monte aux joues. Peut-être va-t-il enfin me reconnaître grâce à ça ?
— Bonjour lieutenant Rivière, dis-je en espérant détourner son attention, ce qui est complètement idiot, je m'en rends compte aussitôt. Que puis-je pour vous ?
Il se redresse en tentant de faire bonne figure.
— Vous... Si vous pouviez décrocher le téléphone.
— Oh.
— Le dernier étage, hein ?
— Paris, ça se mérite. Vous avez des nouvelles du squelette ? Je peux faire quelque chose pour vous ?
— Si je pouvais... souffle-t-il, m'asseoir.
Je lui ouvre grand la porte et me recule pour le laisser passer en le taquinant.
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La Licorne était borgne
Mystery / ThrillerAprès la découverte d'un squelette dans le jardin de sa grand-mère, Angèle se lance à la poursuite du mystère qui hante sa famille, sur la piste de perles précieuses, d'une veuve noire et d'une licorne biscornue. Cette histoire est terminée. Une sui...