Les urgences sont pires que je ne croyais. J'y passe quasiment quarante huit heures. Est-ce possible de faire pire ?
On me place en définitive dans une chambre double de l'hôpital Lariboisière. Personne ne partage cette chambre. De toute façon, je ne pourrais pas discuter. Ma voix est aux abonnés absents. Je reçois un traitement pour ma gorge, et la visite de quelques membres de la police qui semblent clore leur enquête.
Les empruntes digitales récupérées sur le Moleskine que j'ai fourni correspondent à celles trouvées sur le couteau dentelé abandonné par Monteiro à Moutier d'Ahun. Visiblement, cela suffira à l'inculper pour plusieurs crimes. Je ne pensais pas si bien faire. Malgré ma participation à la chasse aux diamants, le fait de ne pas avoir commis de délit et d'avoir découvert un trésor appartenant à ma propre famille me sauve la peau. Je ne suis finalement pas inquiétée.Je me demande si Monteiro m'a mis des choses que je n'ai pas faites sur le dos. Tous les policiers qui sont venus semblaient plutôt détendus, je suppose que c'est bon signe.
Julie est également venue m'apporter des chocolats et des magazines. Sans François, bien entendu.
Je suis toujours licenciée.
Je me sens extrêmement seule. Les sms de Julie me manquent. Aucun de mes amis n'a eu la brillante idée de m'apporter un téléphone de rechange. Le mien est fichu. Je ne peux communiquer avec personne de l'extérieur. Même mes parents ne l'ont pas fait. Ils se contentent de m'appeler sur le téléphone fixe de ma chambre. Ce qui ne sert à rien, vue que je ne peux pas parler pendant plusieurs jours. Et ce service va me coûter une fortune à la sortie. Merci.
Avec tout ça, je ne sais même plus quel jour on est. Est-ce qu'on est déjà passé au mois de mars ? Bientôt le printemps. Y a-t-il encore de la neige à Felletin ?
Le jour de ma sortie de Lariboisière, le capitaine en charge de mon dossier vient m'annoncer qu'aucune charge n'a été retenue contre moi, et que les diamants seront retournés à ma famille dès qu'ils n'auront plus d'utilité en tant que preuve pour le procès de Monteiro. Ce dernier tenait tellement à m'éliminer suite au fiasco de Moutier d'Ahun, qu'il m'a poursuivie sans planquer suffisamment bien son butin. Ils sont désormais sous scellés au commissariat de Limoges. Peut-être que lorsque le procès, quel qu'il soit, sera terminé, dans... dix ans, peut-être, nous pourrons enfin en hériter ?
Julie vient me chercher pour me ramener chez moi. Je n'ai pas le droit de quitter l'hôpital seule.
Une fois arrivées dans le hall de mon immeuble, je lui fais le centième gros câlin depuis qu'elle m'a sauvée de mon agression.
— Merci Harley, lui dis-je de la voix rauque qui est la mienne depuis que je l'ai retrouvée.
— Arrête de m'appeler comme ça. Allez, on monte chez toi. On m'a bien recommandé de t'accompagner jusqu'au bout. En plus avec tes six étages, il peut s'en passer, des choses, en chemin.
— Je ne vais pas tomber dans les pommes, ils m'ont bien requinquée à l'hôpital. Et je me suis reposée.
— Je pensais plutôt à un vieux beau qui voudrait tenter de te tuer.
Ça me fait mal de rire. Mais c'est inestimable de pouvoir rire parce que je suis persuadée que ça n'arrivera pas. Ambroise Monteiro est derrière les barreaux pour un bon bout de temps. Ça fait des années qu'il était recherché. Il a trente quatre chefs d'accusation sur le dos. Il va tenir compagnie à son pote Papillon à Fleury Merogis. Ou ailleurs, mais c'est la seule prison que je connais.
Julie est adorable, et porte mon sac jusque sous les toits.
Alors que nous franchissons les escaliers qui nous mènent au dernier palier du bâtiment haussmannien, nous découvrons que nous ne sommes pas seules. Assis sur la dernière marche, un homme attend, à moitié endormi, en lisant un livre. On ne voit pas bien son visage, parce qu'il porte un feutre. Et un manteau de laine bleu. Mon cœur s'emballe.
Nous entendant arriver, il relève le visage vers nous. Et là, c'est les montagnes russes dans ma poitrine. Mes mains tremblent.
— Excusez-nous, demande Julie d'une toute petite voix. Nous aimerions passer.
Je rêve ou elle est intimidée ? Je fond comme neige au soleil lorsqu'il me sourit. Qu'est-ce qu'il fait là ?
— Bonjour, Mademoiselle Kashinsky.
— Bonjour Antoine.
Julie me regarde comme si je lui avais caché un sombre secret dont elle percevrait désormais tous les tenants et aboutissants. Antoine semble enfin la remarquer. Il se lève, nous laisse galamment le rejoindre sur le palier, enlève son chapeau, et se présente en lui serrant la main.
— Enchantée Mademoiselle. Antoine Rivière.
Julie bégaye trois ou quatre syllabes. Moi, j'ai l'impression d'être complètement passée à côté d'Antoine pendant des semaines. Depuis quand il est si beau ? Sa voix est tellement...
— Je dois raccompagner Angèle jusque chez elle.
Antoine lui prend mon sac de voyage des mains.
— C'est extrêmement aimable. Je crois que je vais prendre le relais.
Julie ne songe même pas à dire non, ou à me demander un café avant de partir. Une fois qu'elle a cédé le sac, elle descend quelques marches en me lançant son regard « je veux tout savoir par sms » puis dévale les escaliers. Elle semble avoir oublié que je n'ai plus de téléphone.
— J'aime bien ta nouvelle voix.
Sans lui répondre, parce que ce serait trop facile de la lui faire entendre maintenant, je déverrouille ma serrure et lui ouvre ma porte. il entre et dépose mon bagage. C'est chauffé, le lit est déplié, mes édredons sont lavés. Ça sent bon. C'est à nouveau mon cocon.
— C'est très... douillet, ici, Mademoiselle Kashinsky, me dit-il de sa voix grave qui me fait frissonner.
Je lui enlève son feutre, puis son manteau de laine, je soulève les duvets, et l'invite à me rejoindre pour continuer de frissonner encore un bon moment.
FIN
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La Licorne était borgne
Mystery / ThrillerAprès la découverte d'un squelette dans le jardin de sa grand-mère, Angèle se lance à la poursuite du mystère qui hante sa famille, sur la piste de perles précieuses, d'une veuve noire et d'une licorne biscornue. Cette histoire est terminée. Une sui...