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De retour à Felletin, toujours aucune trace de la police. D'une certaine manière, cela m'arrange dans la mesure où je n'ai réuni aucun indice susceptible d'incriminer Ambroise Monteiro. D'un autre, j'aimerais me sentir en sécurité.

Je débarque chez Madame Dubré comme une fleur, le rose au joues, accompagnée de mon nouvel ami. Janis affiche une surprise toute rosie d'émotion à la vue du beau cinquantenaire. Clotaire passe son gros nez couperosé par la porte de la cuisine pour espionner, sans cacher son opinion ô combien dégradée de moi maintenant que je me pointe avec un « invité masculin ». Quel vieux jeu, ce Clotaire.

J'ai d'abord un peu honte de faire fille de mauvaise vie, pensant, probablement à juste titre, que le couple nous espionnait, Rivière et moi, lors de notre baiser nocturne. Puis je me remémore que je suis une fille libre et moderne, et que je fais bien ce que je veux de mon corps. Remballe ta couperose, Clotaire !

— Un Monsieur Clouet, et une Madame Sobrette vous ont attendue plus d'une heure, ce matin, Angèle, minaude Janis. Où étiez-vous donc passée ?

Je suis extrêmement gênée de cette situation. Après tout, je suis un peu devenue moi aussi une criminelle internationale. Ou au moins une chasseuse de trésor. Jamais je n'arriverai à sortir un beau mensonge à mon hôtesse. J'ai perdu mon mojo.

— J'ai croisé mon ami José ce matin, Madame Dubré. Nous sommes allé déjeuner à Aubusson. Je viens chercher mes affaires. Je vais vous quitter un jour plus tôt. Hihihi.

Hihihi ? Le rire le plus naze de la terre ! À croire que je cherche à envoyer tous les pires signaux d'alarme pour que quelqu'un viennent me sortir du pétrin dans lequel je me suis délibérément fourrée !

Janis n'en demande pas plus et s'éloigne en me jetant des œillades suspicieuses.

Ambroise et moi montons les marches vers le premier étage en présentant un sourire des plus charmeurs à ma logeuse.

Une fois dans la chambre rose, l'odeur pestilentielle de la robe nous prend à la gorge. Mon invité semble s'armer de plus de courage que moi. Je ne souhaite pas savoir d'où vient cette habitude des mauvaises odeur, de peur de dégrader encore plus l'opinion que j'ai de lui.

— Ma réservation ici prend fin demain. Vous me laissez le temps de préparer une valise avant de repartir avec... ça ? je demande en désignant la robe.

Ambroise semble toutefois hésiter.

— Je demanderais bien à Inge de la conserver dans un cagibi. Si nous pouvions examiner la robe dans cette pièce déjà... viciée ?

Je m'affaire donc à la sortir de sa housse et à l'étaler pour la énième fois sur la moquette.

— Elle est méconnaissable par rapport à la photo de 1887, fait remarquer Monteiro.

— Pas tant que ça. Je l'ai reconnue.

Il me regarde d'un air méfiant.

— Du premier coup ?

Je ne me souviens plus très bien. Qu'est-ce qui m'a fait tilter, déjà ? On distingue à peine le motif de la robe, sur la photographie de Zélie. Je crois que j'ai fait le lien à cause des perles. Il y a d'abord eu la perle que j'ai pris pour la larme de la licorne. Et puis...

— J'ai remarqué qu'il restait tous les fils de broderie des perles sur le haut de la robe. C'est ça qui a attiré mon attention. C'est à ce moment là que j'ai fait le lien avec la robe de Zélie. Regardez.

Nous nous accroupissons et nous approchons de la robe dans une atmosphère fétide. Je pointe une boucle de fil noir pour expliciter mon propos à Monteiro. Il passe le doigt dans la boucle, ce qui a pour effet instantané de tirer sur la boucle suivante et la faire disparaitre sous la toile.

— Merde ! s'exclame-t-il.

— Ce n'est pas si grave, je m'étonne.

— Ne touchez à rien, m'intime-t-il dans un geste impérieux que je trouve sacrément exagéré. Il éviter de dégrader encore plus la toile. C'est ça que nous cherchons. Chaque emplacement de chaque perle qui n'est pas visible sur la photo. Chaque détail compte.

Il sort alors un papier et un crayon de sa poche. Il est décidément équipé pour toutes les occasions. Je pourrais parier que dans sa seconde poche il a un flingue, ou un couteau à cran d'arrêt. Je me relève et me contente de le regarder faire le relevé minutieux de chaque boucle de fil.

Cela prend tout de même quarante bonnes minutes, pendant lesquelles je m'attends à chaque instant à entendre les pas de Rivière dans le couloir, qui rentre chez lui. Finalement, rien. Il faut dire que les choses ont un peu évolué ces dernières heures. Rivière n'a plus rien à chercher à Felletin. Il a du rentrer dans ses pénates à Limoges, ou continuer sa planque pas du tout crédible à Vallière.

Tout en empaquetant ma valise, je constate que je m'ennuie déjà beaucoup plus maintenant que lorsque je recherchais le criminel en compagnie duquel je me trouve. Ma mère me dirait probablement que je n'ai aucune notion du danger. Elle se trompe. Je suis consciente que le pistolet et le couteau à cran d'arrêt ne sont que le fruit de mon imagination. Certes, Monteiro m'a assommée en pleine rue. Mais depuis, il ne m'a ni forcée à quoi que ce soit, ni touchée, ni menacée, ni violentée. Je ne veux pas parler comme une femme battue, mais je ne crois pas qu'il aie une quelconque intention de porter atteinte à ma personne. Finalement, peut-être qu'il aimait bien mamie Colette.

Alors qu'il ajoute la touche finale à son dessin en perçant presque le papier de la pointe de son crayon, j'ai un sursaut de lucidité. C'est vraiment n'importe quoi. Je suis en plein syndrome de Stockholm.

Monteiro se redresse enfin après cette attente interminable et nous nous en retournons dans notre sublime manoir où je réalise ne pas avoir ma propre chambre. Je le signale à Ambroise avant de monter dans sa voiture.

— J'ai pris la liberté de vous réserver la chambre voisine à la mienne, m'annonce-t-il comme si tout cela était une chose des plus banales.

— Aucune porte ne relie les deux pièces ?

— Non. Vous aurez votre propre clé. Hilde vous apportera un petit déjeuner au lit. J'ai commandé un brunch anglais, et non un petit déjeuner continental. J'espère que cela vous convient ?

Je lève les yeux au ciel et quitte la pièce avec ma valise et ma housse sous le bras. J'ai payé ma chambre d'avance mais vais tout de même saluer mes charmants hôtes Monsieur et Madame Dubré, les remerciant intérieurement de m'avoir laissé jouer avec leur personnalité et leur prénom. Ils vont me manquer.

Je lis le doute dans leurs yeux lorsqu'ils me voient quitter leur maison douillette au bras de cet inconnu qui a presque deux fois mon âge, en m'enfonçant dans la neige de leur cour sans porter mes sempiternelles bottes en caoutchouc.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant