8.1 - UNE FLOPÉE DE DE BOURG MOISIS

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L'objet est improbable : une sorte d'artéfact de fer entrelacé d'au moins dix centimètres de long, semblant tout droit sorti d'un conte de Dickens, est sensé ouvrir l'immense grille du vieux cimetière abandonné.

Le lieu est trop grand pour être scanné à vue d'œil, Julie et moi nous séparons pour en faire le tour. Après à peine quelques minutes de trek dans la neige entre les pierres tombales que je l'entends hurler à l'autre bout de la parcelle. Je mentirais en disant que je vole vers elle à grandes enjambées énergiques. Je ressemble plutôt à une girafe ne sachant pas trop où elle pose les pieds ni où elle tourne la tête. je me faufile tant bien que mal entre les racines des arbres qui ont pris leurs aises entre les marbres, les croix et... oh horreur, les anges pleureurs. Avec la neige délicatement déposée sur leurs doigts fins, on dirait qu'ils sont à deux doigts de me faire un clin d'œil.

Je retrouve Julie au pied d'un caveau familial décrépi. Une chauve souris surmonte la porte ornée d'un vitrail représentant un christ en croix du plus mauvais goût. Pas de doute, si mauvais goût il y a, nous sommes chez les Kashinsky. Je lève les yeux sur le cartouche. Il indique le nom de De Bourg. Pardon ?

— Ce n'est pas la bonne tombe, dis-je à Julie.

— Oh oh oh, grince-t-elle d'un rire plus nerveux qu'un mauvais steak, siiii c'est la bonne tombe.

Je crois que cette histoire a tendance à la rendre trop fébrile. Elle se tient à une stèle fissurée pour ne pas perdre pied, échevelée et hagarde sous la neige. Elle pointe le caveau du doigt. J'entends soudain un son d'un lugubre à réveiller les morts. Ça vient de l'intérieur de la maisonnette de pierre. Ma collègue se replie sur elle-même comme si elle avait vu un fantôme. J'avoue que je n'en mène pas large. Lorsque mon esprit perd pied au point de croire que de telles apparitions puissent avoir lieu, je me répète que les fantômes n'existent pas. Les fantômes n'existent pas. Il y a forcément une explication rationnelle.

Le ventre noué comme un lacet de chaussure, je pose un pied dans la sépulture.

Les fantômes n'existent pas.

Je trouve les débris d'un autre vitrail dont ne reste que le visage de la pauvre vierge Marie et un morceau de sacré cœur.

Ça recommence. Un souffle sépulcral envahit l'habitacle du minuscule autel. Totalement figée d'effroi, je n'ose plus que remuer les yeux pour tenter de deviner la source de cette musique macabre. Au moment où cela se produit une troisième fois, je vois enfin le coupable : Un jour derrière une grosse pierre posée sur le sol de l'autel. Je m'en approche. Derrière le rocher se trouve un trou béant. L'entrée de la crypte a été brisée.

— Tu l'as vu ? demande Julie restée à une saine distance du caveau.

— Quoi ?

— Le trou !

Je sors de mes gonds.

— Tu le savais ?

— Ben pourquoi tu crois que je t'ai appelée ?

— Tu aurais pu me prévenir !

Elle s'assied et boude sur sa pierre tombale anonyme. Ok, je suis bonne pour continuer seule.

Je tente tant bien que mal de retirer la pierre. Le gel me saisit à travers mes gants de laine. Impossible de la bouger. Je finis par abattre des coups de pieds dessus pour la retirer. Elle finit par rouler vers l'extérieur du sépulcre. Une bourrasque fraiche et dégageant une affreuse odeur de renfermé vient me saisir le visage. Formidable. Là dessous, il y a sûrement toute une flopée de De Bourg.

Je jette un œil tout en planquant mon nez derrière mon écharpe. Un escalier descend vers les ténèbres. Ligne directe vers la crypte. Et quelqu'un ne s'est pas embêté à demander l'autorisation de s'y rendre. Je me trouve clairement dans une tombe profanée.


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visuel : Paul Delaroche, La Jeune martyre

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant