— Tu te rends compte du risque que tu as pris ? s'anime le lieutenant Rivière.
Nous sommes isolés dans un bureau du commissariat de Moutier d'Ahun. Rivière a fait des pieds et des mains pour en obtenir un. Tout le monde ici le regarde de travers, comme celui qui s'impose parce qu'il vient de Limoges et pas d'un petit patelin comme Moutier d'Ahun. Le bureau est isolé par des vitres et j'ai bien remarqué que les agents nous observent régulièrement avec beaucoup de curiosité.
Je suis couverte de boue des pieds à la tête et, contrairement à ce qu'il se passerait dans un film américain digne de ce nom, personne ne m'a enveloppée dans une couverture. Je me serais même contentée qu'on m'en jette une au visage. Je crève de froid. Quelqu'un a remarqué le temps qu'il fait, ou quoi ?
Rivière m'engueule depuis quinze bonnes minutes. Il a surtout passé du temps à ressasser qu'il se demandait comment me sortir de là, en fait. Que j'étais cuite. Moi, je ne vois pas ce que j'ai fait de mal. Je n'ai rien volé, dégradé, et je n'ai essayé de tuer personne. Bon, okay, j'ai broyé la main de quelqu'un, mais je doute qu'il porte plainte. Quoi que, sait-on jamais. On en a vu d'autres.
— Je ne vois pas pourquoi tu t'emballes, j'essaie de le raisonner. Tu te rappelles que je n'ai rien fait de répréhensible ?
— À part passer trois jours enfermée avec un criminel recherché, et que tu savais recherché ?
— C'est interdit par la loi ?
Rivière soupire.
— Non.
— C'était quoi ce cirque sur le pont d'Ahun ?
— Quelqu'un a appelé le commissariat pour dégradation d'un trésor culturel. Une certaine Zélie Kashinsky a été accusée de semer le trouble. J'ai entendu l'appel par radio. J'ai une petite équipe qui m'épaule pour coincer Monteiro. Toujours cette affaire de perles qui suit son cours.
— Comment ça, cette affaire de perles ?
— C'est ce qui m'a amené ici, au début. Bien entendu je recherchais le profanateur de tombe, mais c'est la revente des perles qui nous a mené sur la piste de Monteiro. Nous avons coffré son receleur et obtenu un certain nombre d'informations. Nous avons recoupé les enquêtes. C'est pourquoi nous nous sommes tous deux retrouvé à Felletin.
— Tous les trois, du coup.
— Tu as une idée du lieu où il a pu s'enfuir ?
— Le connaissant, il a du tranquillement rentrer au gîte de Vallière.
— On a une équipe là bas.
— Et alors ?
— Pas de nouvelles.
— ll serait capable de leur faire croire que c'est lui la victime.
Rivière me regarde avec une intensité toute particulière. J'ai noté le soin qu'il prend depuis qu'il m'a récupérée sur le bitume du parking de ne surtout pas trop m'approcher. Il garde clairement ses distances. Je ne peux pas lui en vouloir, il doit penser que je me suis servie de lui.
J'aimerais tout lui expliquer, mais pas comme ça, pas couverte de boue et l'esprit si occupé à me demander comment me réchauffer que je n'arrive pas à articuler plus de trois mots à la suite.
— Je peux avoir une couverture ?
— Non.
— Je vais faire de l'hypothermie.
— Un collègue va t'emmener à l'hôpital si tu veux.
— Non.
— C'est que tu n'as pas si froid.
Le salaud. Je le vois s'agiter et commencer à faire les cent pas. Il semble réellement embarrassé et se passe sans arrêt la main dans les cheveux. Il ouvre plusieurs fois la bouche pour parler mais se retient à chaque fois. Je préfère me taire, histoire de ne pas tout gâcher une fois de plus.
— Mais bon sang, Angèle. Qu'est-ce qui t'a pris ?
La voilà mon occasion de parler. Mais mon cœur se sert. Je ne sais pas pourquoi. Antoine a l'air tellement... blessé. Je l'ai blessé ? Ce n'était pas mon intention. Je voulais juste l'aider. Comment je pourrais dire ça ? Peut-être que les mots les plus simples...
— Je voulais juste t'aider.
— En mettant en jeu ta sécurité ? En mentant à des agents de police ? Ou en te mettant volontairement au service d'un homme qui tu savais dangereux ? Et armé !
— Je ne le savais pas armé.
— Ne change pas de sujet. C'est ta chance de t'expliquer auprès de quelqu'un qui envisage la possibilité de ton innocence. Dans quelques minutes, un collègue viendra t'inculper, puis tu seras mise en cause pour complicité dans plusieurs affaires de recel.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
— Parce que tu as clairement, au nez et à la barbe de la police, aidé un criminel à entrer en possession de diamants répertoriés.
Mon sang se glace. Ce qui signifie que je suis froide jusqu'aux os. Je pourrais autant être morte.
— Comment ça répertoriés ? Ils étaient planqués depuis le dix-neuvième siècle !
— Ils ont été achetés à un bijoutier. Ils ne se revendront pas comme ça sans attirer l'attention. Et, laisse moi te le rappeler, ils appartiennent à une famille entière. Ta famille.
— Du coup...
— Du coup ta famille n'est pas toi, Angèle. Tu t'es approprié illégalement cet héritage.
— Mais c'est n'importe quoi. Je ne le voulais pas pour moi. Je voulais le coincer lui !
— Eh bien je vois à quel point c'est réussi.
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La Licorne était borgne
Mystery / ThrillerAprès la découverte d'un squelette dans le jardin de sa grand-mère, Angèle se lance à la poursuite du mystère qui hante sa famille, sur la piste de perles précieuses, d'une veuve noire et d'une licorne biscornue. Cette histoire est terminée. Une sui...