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La femme hurle de nous arrêter mais ne pars pas à notre poursuite.

Je n'ai pas le souffle de Monteiro et m'épuise à chaque nouveau pas. Ce n'était peut-être pas une si bonne idée de me contreficher du sport et de m'enfiler tout ce foie gras tout au long de l'année. Je vais faire comme si je n'entendais pas la voix de ma mère dans ma tête me parler de mon surpoids. Heureusement, nous sommes rapidement à la Chevrolet, sous la protection du brouillard.

Ambroise brandit fièrement un rouleau de papier.

— Qu'est-ce que ça dit ? je demande, le souffle court.

Il déroule le message et le lit à voix haute.

— Pont. Est. Troisième en haut, cinquième à gauche.

— Quel pont ?

— Allons-y, s'agite-t-il.

Il part de nouveau en courant. J'ai peine à le suivre. Je ne veux pas le perdre dans le brouillard.

— Quel pont ? je répète.

— Arrêtez de crier !

Je veux bien, mais la seconde d'après, je ne le vois plus. Il ne doit pas être bien loin devant moi. J'entends ses pas qui s'éloignent. Merde.

Il doit y avoir un pont dans le coin. Je maintiens la direction prise par Ambroise et suit le trottoir. Dieu sait où ça va me mener. Je passe devant la boutique d'artisanat kitsch et croise un chemin de terre. J'entends l'eau qui coule. À peine quelques mètres plus loin, je m'engage sur un vieux pont de pierre. On dirait une construction médiévale. Dans la brume, on entend le cours d'eau en contrebas s'abattre violemment sur des rochers sans pour autant distinguer quoi que ce soit.

Je ne vois Monteiro nul part.

— Ambroise !

J'entends des coups en contrebas, presque étouffés par le flux assourdissant de l'eau. Je l'appelle à nouveau. J'arrive de l'autre côté du pont sans le croiser.

Un coup résonne à nouveau.

J'ai l'impression que ça vient de sous le pont. Par où on descend ? On n'y voit goutte. Je contourne le garde fou médiéval à la recherche d'un chemin. J'erre ainsi durant plusieurs minutes et traverse le pont de long en large plusieurs fois avant de me décider à me laisser directement glisser dans la terre jusqu'à la rive. J'espère que je ne vais pas me retrouver à l'eau. Avec ce temps et ce froid, c'est la noyade ou l'hypothermie assurées.

J'atterris sur un rocher. Je distingue la silhouette d'Ambroise à l'ombre du pont. À peine je pose le pied sur la roche pour avancer que je glisse et me retrouve à plat ventre, en équilibre sur un gros rocher, les pieds dans l'eau. Un cri m'échappe.

— Venez m'aider ! je hurle

Silence.

— Ambroise !

Merde. Bien entendu. Nous touchons au but. C'est le moment qu'il choisit pour me laisser tomber. Pas la peine de se débarrasser de moi si le fleuve s'en charge pour lui. Je sens un regain d'énergie me prendre le corps. Je crois que c'est la colère qui monte. J'ai beau geler dans mes bottes, j'ai la racine des cheveux qui brûle avec le sang qui me monte à la tête.

J'ignore comment j'y arrive, mais je trouve une prise grâce à une plaque de mousse, et rampe jusqu'à la rive boueuse.

J'entends un objet lourd tomber par terre. La minute suivante, Ambroise Monteiro doit voir sortir du brouillard une furie toute rouge et couverte de boue. J'essaie de ne pas glisser et de marcher le plus vite possible. Lui non plus n'est pas équipé. Je doute qu'il puisse s'enfuir aussi facilement.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant