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— Sérieusement ? J'éructe. Tu vis ici ? Chez un mec qui... a une putain de batte de Harley Quinn ? Alors que tu ne sais même pas qui est Batman ?

— Je sais qui est Batman. C'est le type qui porte un slip rouge sur son pantalon.

— Julie ! Tu vis chez le mec qui vient de me virer !

Cette fois ci, c'est elle qui sort de ses gonds. Elle me plante son index dans le sternum et m'enfonce dans le rembourrage de manteaux.

— C'est toi, qui pète un plomb, Angèle ! Je ne sais pas ce qui s'est passé pendant ta semaine, mais je ne te reconnais pas ! Non mais regarde toi ! Qu'est-ce que tu fais, là ? Depuis quand on fait une descente chez son patron qui vous a virée ? Qui fais ça, dis moi ? Qui ? Et c'est quoi, ce cocard ?

Je ne sais pas quoi répondre. Je crois qu'elle a raison. Mais ma colère ne retombe pas. J'ai toujours le sang qui afflue dans mes tempes et brouille tout. Je ne vois plus rien comme d'habitude. Elle continue de me sortir ce qu'elle considère comme mes quatre vérités.

— Tu te rends compte que ça a été le merdier au bureau, ces derniers jours ? Après mon coup de fil, une équipe de cinq flics a débarqué et a fouillé ton bureau. Ils ont tout laissé par terre et j'ai du tout ranger ! Ils ont embarqué ton ordinateur et François a passé plusieurs heures au poste à répondre à des questions sur toi ! Sur ton insignifiante petite personne ! Lundi prochain, c'est mon tour ! Juste parce que je te connais ! Je suis bien sympa de continuer à penser qu'ils se trompent, et que tu es quelqu'un de bien ! Mais tu pense vraiment que la boite va te garder après un truc pareil ? Personne ne veut d'une criminelle dans son équipe !

Je crois que mon cœur a manqué un battement. Ça fait beaucoup à avaler d'un coup. Je sens la pression se lâcher. Ma colère s'est transformée en autre chose. C'est vrai qu'au fond, je me fiche de François Briard. Mais je ne me fiche pas de Julie. C'est comme si un gouffre s'était ouvert sous mes pieds. Je crois que Julie ne m'aime plus. Ses intérêts se trouvent désormais du côté de François. Je ne suis plus drôle. Je suis la fille en colère qui est devenue une criminelle. Ce n'est même pas vrai. Je n'ai rien fait. Mais je n'ai même pas envie de lui dire. Mon cerveau tourne en boucle sur autre chose. Comme une toile de fond de pensées qui défile jusqu'à ce que je lui prête toute l'attention qui lui est due.

— Tu penses que je suis insignifiante ?

Le visage de mon amie se décompose. Elle recule d'un pas et tente de me prendre par les épaules, mais je me dégage aussitôt.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, Angèle...

— Mais tu l'as dit.

— Non. Je... J'étais en colère. Ce n'est pas ce que je pensais.

— On dit ce qu'on pense lorsqu'on est en colère. Quand je suis arrivée, je ne t'ai pas insultée.

— Tu m'as jugée, se renfrogne-t-elle. Ce n'était pas très agréable.

— Mais je ne t'ai pas insultée. Parce que je ne pense pas du mal de toi.

— Angèle...

Je ne la laisse pas terminer sa phrase. Je la bouscule pour sortir de cette entrée plus petit que mes toilettes sur le pallier pour ouvrir la porte, et dévale les escaliers.

Lorsque je déboule dans la cour, elle est à sa fenêtre.

— Reviens Angèle ! crie-t-elle. Je suis désolée ! Angèle !

Je ne l'écoute pas. Je ne veux pas. Pas aujourd'hui. J'ai une affaire à régler avec François Briard. Quelle journée de merde ! Non seulement je me fais licencier, mais je me brouille avec une de mes meilleures amies. Merde, merde, merde !

Je manque de faire tomber un ficus en pot en m'engageant sous l'immense arche du hall d'entrée. Je file comme une flèche vers la porte cochère, déterminée à aller choper Briard directement à l'agence. Et faire un beau scandale en public. Il va détester ça. Tant mieux !

Je me vois déjà franchir la porte vitrée du bureau, triomphante, et lui balancer son ordinateur au visage. Je renverserais bien sa chaise et son bureau aussi. Et je crois qu'il y a un certain nombre de classeurs sur son étagère. Je ne voudrais pas gâcher le boulot de Béa, mais si c'est dans le bureau de Briard, c'est que ça doit être balançable par la fenêtre.

Je pourrais hurler dans l'open space que ce licenciement est abusif, illégal, et que je les traînerai en justice.

Alors que je m'apprête à tirer la poignée de la porte cochère, on m'attire vers l'arrière. Je perds l'équilibre. Quoi encore ? Julie m'a poursuivie ? Je rêve !

Mais on ne m'attire pas de façon amicale. Bientôt, mon corps se retrouve plaqué à un autre, beaucoup plus lourd, qui m'empêche de bouger et me plaque sur le sol. Ma tête cogne les carreaux de ciment . Je suis complètement sonnée. Je sens le poids de toute une personne s'appuyer sur moi, et je me débats tant bien que mal. Lorsque j'arrive à voir à nouveau ce qui se passe, je distingue son visage. Ce lui d'Ambroise Monteiro.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant