— Quoi ? éructe Julie. LA Zélie Debiere Kashinski dont tu m'as parlé ?
— Oui, oui, je m'impatiente. Celle-là.
J'étale la robe sur le plancher. L'odeur est à la limite du soutenable. Nous nous plantons toutes les deux au dessus d'elle pour la contempler, comme une pièce à conviction. Elle est vraiment en très mauvais état.
— Tes ancêtres auraient gardé ce truc depuis plus d'un siècle ?
— Ils l'auraient mieux rangée, non ?
— Bah, quand tu vois l'état de ce bor... du grenier de ta grand-mère, je veux dire.
Je regarde autour de moi. Certes, ce n'est pas vraiment le royaume du rangement ici. Mais le renard argenté et d'autres vieilles pièces étaient sous housse, alors qu'elles sont bien moins anciennes que la robe. Je fais rouler la perle entre mes doigts. Julie pousse un hurlement hystérique en la voyant.
— Mais qu'est-ce que c'est que ça ?
Elle me la prend de force et l'examine d'un œil expert. Mon Dieu, combien de diamants ce fichu François Briard lui a-t-il déjà offert ? Il ne voudrait pas nous prévoir une prime de fin d'année, plutôt ?
— Véritable, assène-t-elle comme une bijoutière des bas fonds. C'était aussi dans la malle ?
Je ne serais pas surprise de la voir croquer la perle avec ses canines.
— Non, c'était dans la robe, je lui réponds.
Elle pose un regard dégoûté sur la boule de nacre avant de me la rendre.
— Faudrait mettre un coup de désodorisant, conclut-elle. Ta grand-mère avait ça quelque part ?
— Faut arrêter avec l'odeur, ce n'est tout de même pas si terrible.
Elle me lance un regard outré.
— C'était rangé où ?
Je lui montre la malle. Elle s'y plonge et soulève les autres objets qui s'y trouvent. Principalement des ouvrages au crochet soigneusement rangés dans des sachets plastiques. Elle sent l'intérieur de tous les sachets avant de finir la tête plongée au fond de la malle ancienne tapissée d'un tissu liberty rose.
— Il n'y a que la malle qui a récupéré l'odeur, ça ne devait pas être là depuis longtemps.
— Ah bon ? je m'étonne. Pourtant la robe date au moins du 19e siècle, si ce n'est pas un héritage encore plus ancien de Zélie. Et elle était entreposée sous les mochetés en crochet de mamie.
— Ne le prend pas mal, me dit Julie très sérieusement. Mais ça sent la même chose que lorsqu'on a découvert le corps de pépé Charles après une vingtaine de jours parce qu'il ne répondait pas au téléphone.
Je n'en reviens pas.
— Vous ne vous êtes inquiétés qu'au bout d'une vingtaine de jours ?
— Oh, ça va, ne me juge pas, hein. Pépé Charles était une vraie teigne, personne ne prenait jamais de ses nouvelles. Il nous insultait au téléphone, et lorsqu'on lui rendait visite, il nous crachait dessus.
Je n'arrive plus à sortir un mot. C'est grave, ou pas ? Pauvre vieux. C'est triste de finir seul. Il devait être une sacrée peau de vache.
Mes yeux se posent à nouveau sur la robe en tapisserie moche. Elle aussi la pauvre. Elle a l'odeur du vil pépé Charles.
Soudain, un frisson me parcours le dos. Ce serait vraiment dégoutant si...
— Oh mon dieu, j'arrive à articuler.
— Quoi ?
— Et si... et si ça puait la mort parce que.... le squelette...
— Quoi, bon sang ?
— Le lieutenant de police...
— Le beau gosse Rivière ?
— Ta gueule. Le flic m'a dit que l'enquête avait aboutit à une mort naturelle, ce qui me parait logique, vue que Zélie est morte depuis longtemps. Elle est morte et enterrée.
— Plus si enterrée que ça, ironise Julie.
— Justement. Tu ne vois pas ?
— Quoi ?
— À ton avis, comment elle s'est retrouvée dans le jardin ? Elle n'est pas morte là, la pauvre.
— Oh c'est dégueulasse.
— Oui. Un sagouin de l'enfer l'a déterrée. Et je ne pense pas qu'il l'aie trouvée à poil.
Julie pose un regard horrifié sur la robe.
— Non, arrive-t-elle à articuler d'une voix rauque. Les fringues seraient tombées en poussière depuis le temps.
— Le squelette était toujours là.
— Non. Non, non, non. C'est tout.
Nous sommes toujours là, immobiles, à fixer la robe soigneusement étalée par terre.
— Ça expliquerait cette odeur dégueulasse, je conclus.
Sans dire un mot, ma collègue quitte le grenier en trombe et dévale les escalier. Je l'entends vomir dans les toilettes turques situées juste en bas du colimaçon. Petite nature, va.
Je contemple les motifs étrange du costume. Mais où était enterrée Zélie, en fait ?
———
visuel : Pisanello, Portrait d'une princesse d'Este
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La Licorne était borgne
Mystery / ThrillerAprès la découverte d'un squelette dans le jardin de sa grand-mère, Angèle se lance à la poursuite du mystère qui hante sa famille, sur la piste de perles précieuses, d'une veuve noire et d'une licorne biscornue. Cette histoire est terminée. Une sui...