36

283 47 0
                                    

— Alors, on en parle, de ce marché ? lance-t-il à travers la pièce comme si nous étions en train de dealer de la drogue, bien que j'avoue n'avoir aucune idée de ce à quoi négocier un marché stupéfiant peut ressembler. Vous me donnez les éléments en votre possession à propos de Zélie Kashinsky, la robe, les perles, la tombe, tout ce que vous avez découvert. En échange, je vous emmène avec moi, et la moitié des diamants sera pour vous.

J'ai une boule dans la gorge. Je ne suis pas tout à fait sûre que ce soit le sentiment de danger qui m'opresse ou la perspective de diamants et d'une vie de hors la loi.

— Vous rendez-vous compte, José, que je n'ai aucune idée de ce dont vous parlez ? En quoi la robe a-t-elle un rapport avec les diamants ? Ces diamants sont dépensés depuis longtemps par ma famille, non ? C'est ce que vous cherchez ? Vous vous échinez pour rien.

Monteiro va s'asseoir confortablement dans la grande bergère à côté du lit, extrêmement sûr de lui. Il me regarde comme une oisillon tombé du nid. Je suis certaine qu'il s'imagine me manger toute crue. Ou toute nue. Je n'ai plus quinze ans, après tout. Oh merde ! Il faut que j'arrête.

Il croise les doigts et s'apprête clairement à me raconter son plan de grand méchant. Oh oh, Angèle, ta naïveté aurait-elle enfin fait de toi un James Bond potable ?

— Votre grand-mère ne vous a vraiment rien raconté ?

— Bien sûr que non ! Je m'énerve.

— Étonnant que cet héritage soit parvenu jusqu'à votre grand-père mais pas aux générations suivantes. Plus d'un siècle de bouche à oreille et il n'aurait pas fait son job ? Ni même Colette après sa mort ?

Soudain, je pense à mon père. Le salaud. C'est à lui et mes tantes que mamie a du raconter cette histoire. Maintenant que j'y repense, je n'ai parlé de la robe à personne. Je n'ai même pas appelé Corine, en qui j'ai pourtant une confiance absolue. Et c'est Gustave que j'ai eu au téléphone pour parler des perles. Cette histoire de diamants est simplement restée coincée à la génération précédente. Nos fichus parents nous prennent encore pour des bébés et n'ont pas jugé bon de nous parler de Zélie ou d'un quelquonque secret. Ou bien mon père aurait tout à fait été capable de n'en parler qu'à ma sœur. Ça lui ressemblerait bien. Je suis sûre que c'est ce qu'il a fait. Ça expliquerait pourquoi elle me regarde toujours de haut comme ça.

Monteiro ne peut s'empêcher de sourire. Il doit lire chacune de mes pensées sur mon visage avec option échelle de tension du rose au rouge sur ma peau. Mais c'est un bon gros rouge de colère, cette fois ci.

— Je vois... murmure-t-il. On vous a tenue éloignée de l'héritage des Kashinsky.

Je ne réponds même pas, tellement je suis vexée.

— Moi qui pensais que vous étiez la plus proche de Colette puisqu'elle vous a légué sa maison.

— Comment est-ce que vous savez tout ça sur ma grand-mère ? Et puis arrêtez vous suppositions merdiques. Bien entendu que j'étais proche de ma grand-mère. C'est pour ça que le reste de ma famille ne peut pas me piffrer !

— Ils ne vous ont donc jamais parlé de la veuve noire.

— J'ai découvert toute seule, merci. Quelqu'un a négligemment oublié un squelette et une robe dans mon jardin.

— Mais ce que vous ne savez pas, c'est qu'elle a collectionné...

— Des diamants, je sais. Vous n'avez pas une info un peu plus fraîche ?

Okay, je joue de mauvaise foi, poussée par ma colère qui emplit toute ma tête. Je n'ai, à cet instant, plus aucun discernement. D'ailleurs, j'ai très envie de suivre Sean Connery dans une folle aventure hors la loi rien que pour les faire chier, tous.

— Oui, des diamants. Mais contrairement à ce que vous croyez, ils n'ont pas été dépensés par votre famille. Ils ont été perdus.

Là il me skotche à mon siège. Est-ce que j'ai bien compris ? Il y a tout un tas de diamants dans la nature qui ne demandent qu'à être retrouvés par une petite Kashinsky qui ne demande qu'à en hériter ? Ainsi qu'une famille longue comme le bras qui voudra en hériter aussi ?

— On dirait que j'ai enfin votre attention. Vous allez peut-être enfin cesser de me couper la parole.

Je me tortille sur mon tabouret de gêne. Ma colère retombe peu à peu.

— Votre ancêtre, Zélie Kashinsky, ne souhaitait pas que n'importe quel membre de sa famille ne s'octroie sa fortune. Elle a donc caché les diamants et n'a révélé qu'à son dernier fils le chemin pour parvenir à les trouver. Enfin, révélé est un bien grand mot. Madame Kashinsky devait avoir une imagination débordante, car son fils, Edouard Kashinsky, n'a jamais pu percer le secret des indices laissés dans le manoir. Et pour avoir remonté la trace de ce secret, je dirais même qu'il a lui-même enterré les indices tant et si bien, que plusieurs générations de Kaskinsky s'y sont cassé les dents.

— Mais vous, vous avez compris ce que Zélie avait laissé.

— Un peu de recul ne fait pas de mal, apparemment. Colette m'en a révélé assez pour que les évidences s'offrent à moi. Je vous prie de m'excuser, Angèle, mais vos aïeux n'ont pas brillé par leur intelligence ni par leur esprit de déduction.

— Attendez, je bloque en passant sur l'insulte qui vient d'être faite. Comment ça, ma grand-mère vous a révélé des choses ?

— Je la connaissais très bien.

Oh mon dieu. Je n'arrive pas à articuler un mot pendant plusieurs minutes. Le sol se dérobe sous mes pieds. Je m'accroche à l'assise en velours de mon tabouret. Pourquoi je n'ai pas de dossier pour m'évanouir, bon sang ? C'est quoi cette chambre de luxe pourrie ? En fait mamie est à l'origine de toute cette histoire ? Dans deux minutes il va me dire que c'est elle qui a demandé à ce qu'on déterre Zélie ? Tout tourne autour de moi.

Dans un flou partiel, je vois Monteiro sourire de satisfaction. Il a eu l'effet qu'il escomptait.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant