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À peine je me rends compte de la situation que j'entends des petites foulées s'approcher, et une demi douzaine d'autres uniformes sortir de la brume et me mettre en joue à mon tour. Je n'ai même pas le temps de crier, je lève les mains.

Je savais que toute cette histoire se terminerait sur un malentendu. Enfin, sur une moitié de malentendu, parce que j'ai tout de même aidé un criminel international. Mais pas pour un délit de haut vol ! Qu'est-ce que je vais devenir maintenant ? On peut me poursuivre pour avoir cherché et découvert un trésor de diamants appartenant à ma propre famille ? L'État peut s'en emparer en tant que trésor national, par exemple ?

Tiens, d'ailleurs, où est le coffret ? Je tente un regard vers Monteiro. Il a toujours les mains levées vers le ciel. L'une d'elle est en sang. Grâce à moi. Ça ne semble pas inquiéter qui que ce soit. On dirait qu'il a planqué son butin et son couteau. Mais où, bon Dieu ?

Face à notre coopération, les brigadiers retrouvent leur calme et baissent leurs armes. J'ai l'impression qu'on vient d'enlever l'enclume qui était posée sur mes épaules. J'en ai les mains qui tremblent. Je n'ose cependant pas les baisser.

Monteiro, lui, reprend en assurance. Il profite de la brèche pour se jeter sur moi. Je n'ai pas le temps de réaliser quoi que ce soit que je me retrouve avec une clé de bras et un truc froid sous la gorge. Le canif dentelé.

Je n'ose même plus déglutir, ni crier au secours. Je vois bien que les brigadiers ont tous été pris au dépourvu. Il se sont repositionné en formation d'assaut, armes de poing pointées vers nous, dans une tension palpable. Peut-être que maintenant quelqu'un me croira quand je dirai que je ne suis pas sa complice. Du moins sur d'autres coups que celui-ci. Enfin, si je suis encore en vie pour tout raconter.

Monteiro m'oblige à marcher en crabe pour le suivre. Les agents de police l'ont replacé dans leur ligne de mire et l'intiment de déposer son arme. Je prie pour que personne ne me dégomme au taser sous la pression. Les gardiens de la paix savent garder leur sang froid, non ?

Dans le silence brumeux, j'entends quelqu'un crier mon prénom. On dirait Rivière. On ne voit rien. Je ne sais même pas combien de personnes sont présentes sur le pont. Je m'applique à suivre précisément les mouvements de Monteiro pour ne pas finir égorgée comme une truie, dans un village où on doit probablement encore saigner le cochon une ou deux fois par an.

Peu à peu, Monteiro réussit à nous éloigner suffisamment pour être hors de vue, dans la brume. J'entends tout de même les pas précipités des rangers sur le bitume.

Soudain, Monteiro relâche son poignard et libère enfin ma gorge. Je reprends mon souffle un grand coup. Il me menace de son arme et chuchote.

— Tu me suis. À la moindre incartade, je te plante.

On a clairement changé de registre. Il me pousse devant lui pour que j'ouvre la marche. Ce sera plus facile de faire un lancer de couteau dans le dos, je suppose. Il m'ordonne de remonter jusqu'à la voiture. Comme si on n'allait pas être attendu là bas aussi.

— Qu'est-ce que les flics font là ? je chuchote en essayant de tenir le rythme.

— J'en sais rien, tu les as appelé, je suppose ? Ou alors la pute de l'église.

— Surveillez votre langage, gros porc.

— Alors on en est là ? perd-il patience.

— C'est vous qui en êtes là ! je m'énerve.

Ce faisant, je m'arrête pour lui faire face et j'effleure le poignard. Je me remets en route aussitôt. J'aimerais faire preuve de plus de courage, mais en ce moment, le mot qui me définirait le mieux serait plutôt « paumée ». Je finis toujours par être paumée.

Arrivés à la Chevrolet, je m'aperçois que je n'entends plus les pas des policiers.

— Ils ne nous auraient pas arrêtés ou tasés pour dégradation de bien public. Qu'est-ce que vous avez fait que j'ignore ?

Il me regarde avec un sourire... machiavélique. Sans blague.

— J'ai fait un tas de choses, Angèle. Monte.

Il me désigne la portière de la voiture. La portière du siège conducteur.

— Ambroise...

Il l'ouvre lui-même et me pousse à l'intérieur. Je ne rechigne pas, je vais peut-être me prendre une charge d'électricité, mais je lui aurais fait perdre un maximum de temps. Il me rejoint en prenant place sur le siège passager.

— Démarre !

— Je... je voudrais bien, mais...

Il me menace à nouveau de son arme.

— Démarre !

Je prends mon courage à deux mains.

— Je ne sais pas conduire. Je peux tourner la clé, mais je ne suis même pas sûre de...

Monteiro me pousse d'une telle violence que je me retrouve écrasée contre la portière.


— Dégage ! J'y arriverai seul !

C'est seulement maintenant que je me rends compte que je l'ai vraiment privé de l'usage de sa main droite. Il hurle de douleur en tant de faire tourner la clé pour mettre le contact.

J'ouvre la portière et me laisse tomber à l'extérieur. Dans ma chute, je le bouscule suffisamment pour faire tomber son arme à terre, auprès de moi. Mais je n'ai pas le temps de la ramasser. Il saute à son tour de la voiture et cours au loin, s'enfonçant dans la purée de pois ambiante. J'ai à peine le temps de rouler contre la voiture voisine pour éviter qu'il ne me piétine sans plus de cérémonie.

Je m'égosille pour appeler les brigadiers en espérant attirer leur attention sur le fuyard. Mais il est trop tard. J'entends leurs rangers tambouriner sur le chemin. Il n'ont pas intercepté Monteiro.

Toujours au sol, je me relâche complètement. Mon corps entier se met à trembler. Et alors que je n'arrive pas à réprimer mes larmes suite à tout ce qui vient se passer, je me rends compte que le véhicule contre lequel je me repose est vert d'eau.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant