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Lorsque je recouvre mes esprits, je me trouve dans un endroit très, très confortable. Je n'ai pas très envie d'ouvrir les yeux. Je sors du royaume des songes sans réellement le désirer, comme portée par une des drogues psychomagiques que Janis a mis dans mon petit déjeuner. Ah, non, je me réveille, et me souviens que Janis n'existe pas vraiment, et que cette histoire est ne sorte de blague. Mais je suis où, en fait ? Je ne me souviens pas m'être couchée.

J'émerge un peu plus. Je commence à avoir mal à la nuque et et quelques bribes me reviennent. Je ne me suis pas couchée. J'étais dans la rue. Pourtant, je me sens bien et je ne souhaite pas sortir de ce rêve. Monteiro était là. Il m'a frappée par derrière.

Je m'éveille brusquement cette fois et me redresse aussitôt dans une inspiration paniquée.

Je suis assise sur le lit le plus immense qu'il m'ait été donné d'occuper. Au moins un king size. Le couvre lit en velours bleu pâle semble couteux. Je ne suis entravée d'aucune sorte, on semble m'avoir déposée ici en attendant que je me réveille. Mon regard se pose ensuite sur l'ensemble de la chambre dans laquelle je me trouve. C'est un bel endroit avec une cheminée ancienne en marbre ornée d'un grand miroir, un fauteuil style bergère en velours également, une table basse en pierre et une descente de lit douillette. Une fenêtre à double battant toute hauteur entourée de beaux rideaux donne sur un jardin couvert de neige, au bout duquel je distingue un imposant portail en fer forgé. Au delà, un village de petites maisons grises. On dirait bien que je n'ai pas bougé de la Creuse.

Et compte tenu du cachet prestigieux de cette chambre, je dirais que je n'ai pas non plus quitté la proximité de Sean Connery Monteiro Coleman. Il faut décidément que je raccourcisse ce nom.

— Je vois que vous êtes de nouveau parmi nous, me surprend une voix dans mon dos.

Je sursaute de frayeur avant de me retourner. C'est lui. On ne peut plus à l'aise, dans l'encadrement d'une porte qui mène à, semble-t-il, la salle de bain. Pas du tout embarrassé de m'avoir assommée en pleine rue et... enlevée ? Soignée ? Je ne sais plus quoi penser. En tout cas, il est un peu trop à l'aise pour être honnête.

— Qu'est-ce que je fais ici ? Où sommes-nous ?

— J'ai préféré que nous discutions dans un endroit calme, plutôt que d'attendre votre ami flic chez vous.

— Quoi ? Mais je...

— La voiture verte n'était pas garée devant chez vous aujourd'hui. J'ai estimé être enfin tranquille.

Ah, Rivière et sa fichue 4L !! Bravo ! On s'est fait repéré en moins de deux avec cette antiquité !

Mon hôte non désiré me prend la main pour m'aider à me lever. Comme si j'en avais besoin. Je suis une grande fille. La galanterie ça va bien deux minutes. Il m'invite à prendre place plus confortablement autour de la table basse, sur laquelle sont disposés des petits fours et une bouteille de champagne. Je crois bien que les petits fours sont au foie gras. Je vois qu'on ne se refuse rien. À la fois, vue le nombre de perles appartenant à Zélie que le brigand a du revendre sous le manteau, il peut bien se permettre quelques largesses.

Je ne sais pas comment faire face à cette situation. J'étais évanouie, je sors à peine d'un brouillard de rêves, et je dois déjà prendre des décisions. Comme savoir si c'est bien ou non d'être ici. Est-ce que ça ne fait pas avancer l'enquête ? Mais non, ça me met surtout en danger. Je suis pile là où Antoine ne voulait pas que je me trouve.

j'ai également l'impression que Monteiro se fiche bien que je puisse l'identifier ou non.

— Pourquoi m'avez-vous emmenée ici ? j'insiste.

Cette fois-ci, il s'installe en face de moi et entreprend de me répondre tout en nous servant à tous deux une flûte de champagne.

— Je suis persuadé que nous avons beaucoup à nous apporter, me répond-il avec flegme.

Je me demande ce que je peux bien lui apporter. Cela fait des semaines que je suis une piste de loin, sans jamais avoir flairé une seule fois sa présence. J'avais mamie Colette, un squelette, une robe et des perles. Un voleur international est une grande première. Je vois mal ce que je pourrais avoir qu'il ne possède pas. Tout ce que j'ai découvert, je l'ai découvert parce qu'il l'avait laissé derrière lui.

— Voyez-vous, continue-t-il en se penchant vers moi, un jour, je suis tombé sur la fascinante histoire d'une veuve noire. Vous savez ce que c'est, n'est-ce pas ?

— C'est une araignée.

— C'est aussi comme cela qu'on surnomme les femmes qui tuent leurs maris.

— Une activité familiale surprenante.

— Certes. C'est fou ce que peut nous apprendre un court séjour au cœur du Limousin.

— Quelle drôle d'idée de trainer dans le coin, aussi. D'où venez-vous, Monsieur... Monsieur comment, d'ailleurs ? Je doute que votre vrai patronyme soit réellement Coleman, je me trompe ? Vous êtes Monsieur quoi ? Monsieur qui m'avez assommé dans la rue ? Monsieur qui draguez les femmes trop jeunes pour lui ?

— Je vois, se renfrogne-t-il. Vous êtes en colère.

Je sors légèrement de mes gonds. D'ailleurs, je ne sais pas comment j'arrive autant à me maîtriser. Peut-être que j'ai dépassé ma limite, et que maintenant plus rien n'a d'importance ? Qu'est-ce qui m'attend, après tout ? Un job dont je suis sur le point de me faire virer ? Une vie sentimentale désertique ? Des parents qui m'ignorent ? Une sœur qui prend ses distances ? Des amis de beuverie ? Je ne suis plus à ça près.

— J'ai loué cette chambre au nom de José Coleman. Cela ne vous suffit-il pas, Mademoiselle Kashinsky ?

— Okay José, je continue avec une familiarité assumée, pourquoi me parler d'une veuve noire ?

— vous le savez très bien.

Zut, je pensais l'amener sur mon terrain en feignant l'ignorance. Dans Batman, je serais indéniablement Robin. Ou le personnage qui se fait tout le temps capturer, si ça existe.

— Vous savez très bien de quoi je parle, parce que c'est Madame Kashinsky qui m'a tout appris de cette légende.

— Ma mère ? Mais ce n'est même pas une Kashinsky !

— Non, Mademoiselle, je parle bien de votre grand-mère, me répond-il, légèrement excédé.

Je me fige une seconde avant de reprendre mes esprits. On parle de mamie ? Ma mamie innocente qui ne pouvait rien savoir de Zélie et a forcément trouvé sa robe par hasard dans son jardin ? Je l'attrape au col en me jetant à moitié dans le champagne et le foie gras.

— Colette savait tout de cette histoire ?

José Coleman prend délicatement mes doigts un à un pour les desserrer du col de sa chemise immaculée. Il me rassoit gentiment sur mon tabouret avant de prendre un petit four à moitié écrasé pour le porter à sa bouche, dans une élégance telle que j'ai l'impression de voir le petit four se remettre en place pour être digne de se faire avaler.

— Alors, triomphe-t-il. Je ne me trompe pas en estimant que vous savez exactement de quoi je parle, n'est-ce pas ?

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant