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Le silence a gagné la chambre d'hôtel. Monteiro et moi nous regardons dans les yeux sans dire un mot, tentant de deviner ce que pense l'autre. Je dois être comme un livre ouvert. Alors que lui sait mener le jeu. Je ne vois que moquerie et une certaine dose d'impertinence dans son regard.

J'ai affaire à un joueur. Pas à quelqu'un qui fait des affaires pour l'argent, la reconnaissance ou le risque. Comment gagner avec une personne comme ça ? Tout peut devenir un jeu. Chaque événement qui surgit sans crier gare devient un nouveau défi, un challenge, un enjeu à gagner.

Je sais très bien tout ça. Je suis pareil. C'est pour ça que je m'ennuie ferme lorsque je travaille sur les mêmes dossiers au boulot. C'est pour ça que je garde la maison de Colette. Et c'est pour ça que je me retrouve dans cette chambre au lieu d'être en plein rendez-vous avec le lieutenant Clouet et un portraitiste de la police limougeaude ou même mieux, dans mon studio sous les toits à Paris.

Un grand fracas nous interrompt dans notre combat silencieux. La porte en bois bleu pâle vole quasiment en s'ouvrant à la volée à l'intérieur de la chambre.

— Police ! crie une voix qui précède l'entrée de deux agents de police armés de tazer dans la pièce.

Mon sang se glace. Dans l'encadrement de la porte se tient Rivière, pistolet à la main. C'est la première fois que je me trouve pointée par une arme. Je suis en train de me liquéfier sur place. Comment a-t-il découvert où j'étais ? Ce mec est vraiment fort. Et super sexy dans son manteau de laine bleu, les yeux rivés sur Monteiro, en ligne de mire. Cette pensée me détend un peu, en plus du fait qu'il pointe désormais son arme uniquement sur mon kidnappeur gentleman.

Mais en fait, je n'ai pas tout à fait l'air kidnappée, là, dans cette chambre, avec une flûte de champagne entamée.

Contre toute attente, c'est Monteiro qui prend la parole en premier.

— Que puis-je pour vous ? Hilde et Inge vous ont laissé entrer, messieurs ?

— Monsieur Monteiro, veuillez vous rendre suite à l'enlèvement de Mademoiselle Angèle Kashinsky.

Antoine, tout en sang froid, est vraiment impressionnant. Je le vois sous un nouveau jour. Malheureusement, je ne suis pas sûre qu'il gagne à ce jeu là.

— Vous devez vous tromper de personne, répond Monteiro avec un flegme impressionnant.

— Monsieur Monteiro, veuillez vous rendre suite à l'enlèvement de Mademoiselle Angèle Kashinsky, répète Antoine.

— Je me nomme José Coleman. C'est le nom que vous trouverez sur le registre de la chambre d'hôte, ainsi que sur mes papiers.

Rivière jette un œil vers moi. Monteiro saute dans la brèche.

— Vous voyez bien que Mademoiselle Kashinsky n'est pas retenue contre son gré. Baissez votre arme, vous mettez tout le monde très mal à l'aise.

Les agents de soutien ne baissent pas leurs armes mais je sens qu'ils commencent à douter au vue de la situation. Rivière ne lâche rien.

— Angèle, susurre Monteiro à mon adresse comme pour appuyer notre intimité —inexistante. Dites donc à votre ami de baisser son arme. Nous sommes entre personnes civilisées.

Je n'arrive pas à décrocher un mot. En fait, pour tout dire, je ne sais pas quoi faire. Je vois bien que Rivière est excédé par le fait que sa cible ose m'appeler par mon prénom. Comment Monteiro a-t-il réussi à le cerner aussi rapidement ?

Sans baisser son arme, Antoine s'adresse directement à moi tout en ne quittant pas Monteiro des yeux.

— Angèle, si vous souhaitez quitter cette chambre, c'est le moment. Deux autres agents vous attendent au rez-de-chaussée et vous mettront en sécurité. Si vous êtes libre de vos mouvements, faites le tour de la pièce en vous maintenant à plus de deux mètres de Monsieur Monteiro ici présent...

— Je m'appelle José Cleman, le coupe sa cible.

— Et descendez l'escalier, continue Rivière sans tenir compte de l'insolence de l'homme qu'il tient en joue.

Monteiro redouble de confiance en lui. Toujours sans bouger de la bergère pour ne pas provoquer les agents, ils s'adresse à Rivière en rigolant à moitié.

— Voyons, lieutenant. Mademoiselle Kaskinsky n'est absolument pas retenue prisonnière ici. Dites lui, Angèle, continue-t-il en s'adressant à moi,que vous avez décidé de passer quelques jours de vacances avec moi. Parfois, les rencontres, vous savez.... c'est à la fois magique et imprévisible.

Je vois les doigts de Rivière blanchir en serrant plus fort son arme à feu.

— C'est vrai Angèle ?

Il tourne la tête vers moi et attend une réponse. Il faut que j'arrive à dire quelque chose. Quelque chose d'utile et de concis.

— Oui, Antoine.

Monteiro ne cache pas son contentement et sa supériorité pendant que Rivière baisse son arme, sous le choc.

— On remballe, lâche-til à ses collègues comme un couperet.

Les agents rangent leur tazer, quittent la pièce, et il les suit en claquant la porte, sans un regard en arrière. Je suis tétanisée. Monteiro se lève calmement, rejoint la porte de la chambre, et tourne la clé dans la serrure.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant