21.1 - UN SOUPIR À FENDRE L' ÂME

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Le café est immense et vide, en dehors de la patronne derrière son immense bar (désert). Je suis assise sur une banquette en skaï bordeaux, livide.

— J'ai besoin que tu me le décrives, Angèle, insiste Antoine.

— Caucasien, cheveux gris, un mètre soixante dix, la cinquantaine.

— Caucasien ? Mais de quoi tu me parles ?

— Ce n'est pas comme ça que vous dites, dans la police ?

— Si, mais tu n'es pas dans la police. Tu ne te souviens pas d'autres détails ? Juste « caucasien » ?

— Je croyais que c'était un criminel recherché de longue date. Tu n'as pas déjà son portrait quelque part ?

Antoine prend un air grave. Il quitte la banquette sur laquelle il s'était assis près de moi, et va s'asseoir sur la chaise d'en face dans un sérieux encore plus déstabilisant.

— C'est ce que j'essaie de te dire depuis hier soir, Angèle. Tu ne te rends pas compte, m'assène-t-il. Non je n'ai pas de portrait exact de cet homme. Car toutes les personnes qui l'ont rencontré lui sont dévouées et nul ne se risquerait à une dénonciation. Il ne s'agit pas d'un « voleur », comme tu le dis. Mais d'une figure du crime organisé qui sévit de longue date dans toute l'Europe.

J'en reste comme deux ronds de flan. Sean Connery, parrain du crime organisé européen ? Quand j'y réfléchis, j'étais à deux doigts de le suivre sans même le connaitre. Ce type doit avoir un charisme exceptionnel. C'est inné, ce genre de chose ? Ça se travaille ? Je m'égare. Face à mon absence de réaction, Antoine continue son laïus.

— S'il apprend que tu mènes une enquête sur la robe, ou sur Zélie Kashinsky, ou simplement que tu traines avec moi, il peut s'en prendre à toi. Ce n'est pas le genre de personne à permettre à quelqu'un capable de l'identifier de rester en vie.

Soudain, je me réveille. Pardon ?

— Attends, j'arrive enfin à articuler d'une voix rauque. Tu veux dire que ce type... Que cet homme peut... vouloir m'assassiner ? Comme Zélie ? Euh, non, il ne l'a pas assassinée, mais...

Antoine tend le bras à travers la table pour prendre ma main dans la sienne. Il a enlevé ses gants et a la peau chaude. Comme sa voix grave, ça m'apaise tout de suite.

— Je ne veux pas être alarmiste, continue-t-il, mais il vaut mieux s'attendre à tout.

Euh... il essaie de me rassurer avec ses mains chaudes pour ensuite me flanquer la plus grosse trouille de ma vie, ou quoi ?

— Qu'est-ce que tu me racontes ? je crie d'une voix de crécelle qui m'échappe totalement. Il vaut mieux que je rentre à Paris ? Il ne peut pas me rechercher juste pour m'avoir draguée dans un atelier de tapisserie, tout de même ?

— Il t'a draguée ?

Oh non, j'avais omis cette partie de l'histoire, c'est vrai. J'avais un peu honte. Mais maintenant, Antoine va croire que c'était intentionnel, et qu'il s'est peut-être passé autre chose. Il prend un carnet et un stylo dans la poche intérieure de son manteau.

— C'est intéressant, marmonne-t-il en prenant des notes.

— C'est tout ?

Il me regarde avec stupéfaction.

— Il s'est passé autre chose ?

Son absence d'émotion me perturbe complètement. Je me rends alors compte que je ne suis pas en train de boire un chocolat chaud avec Antoine, dans un café à Felletin après avoir été troublée par un événement personnel. Je suis en train de subir un interrogatoire !! Oh le salaud de flic !

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant