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Ambroise passe la soirée à reporter son dessin sur sa carte géante pendant que je me prélasse dans ma propre chambre après m'être détendue sous la luxueuse douche italienne attenante. Je goutte un plat néerlandais que m'a apporté Hilde en regardant Charade sur l'écran géant posé sur la cheminée.

Nous avons laissé la robe houssée dans le cagibi réservé au ménage de la maison de maître. Nos hôtesse sont particulièrement discrètes et n'ont posé aucune question. Tout droit venues des Pays Bas, elle doivent se dire qu'il s'agit là d'une coutume dont elles ignorent l'existence.

Je prends mon téléphone et ouvre un nouveau dossier, que j'appelle « Sean Connery », mon mot de passe pour qu'Ambroise n'aille pas fouiller là dedans.

J'ouvre une note dans laquelle je tape :

« Possibilité qu'il loue des gîtes tenus par des étrangers pour que ses bizarreries passent inaperçues ».

Maigre premier indice.

Je m'endors devant la télé suite à cette journée éprouvante, et me réveille en sursaut le lendemain, tout habillée sur mon lit, en me demandant d'abord ce que je fais là, puis si Monteiro ne s'est pas enfui de son côté avec la carte reconstituée en me laissant en plan.

Maintenant que j'ai publiquement planté Rivière, même si c'était en réalité pour bosser pour lui, je ne peux pas rentrer bredouille ! Il ne croira jamais en mes intentions altruistes. Je serai traitée comme la dernière des dernières criminelles. Mon père me renierai et ma mère viendrait me rendre visite en prison pour m'apporter des livres de développement personnel type « Se relever d'un échec ».

Ma tête toute à ces réflexions, je m'active aux quatre coins de la pièce pour m'habiller et aller toquer aux appartements voisins sans avoir l'air de venir user de mes charmes. Le problème, avec les séducteurs chevronnés, c'est qu'ils interprètent tout de travers. Impossible d'avoir une vie normale à leurs côtés. La moindre mèche de cheveux replacée derrière l'oreille pourrait valoir de me faire sauter dessus. Bon, j'exagère peut-être un peu, mais mon expérience personnelle en la matière, que j'aimerais oublier, personnellement, tant elle me renvoie à une période de ma vie que j'exècre, ne m'aide pas du tout.

J'en suis essoufflée lorsque je frappe à la porte de mon voisin. Il m'ouvre, sourire enjôleur jusqu'aux oreilles, frais comme un gardon, rasé , parfumé, petit polo sport avec chandail jacquart entrouvert et pantalon de velours côtelé. La parfaite panoplie assortie à la Chevrolet. J'en ai le souffle coupé.

— Pressée de partir à l'aventure ? me demande-il avec engouement comme si nous étions deux vieux amis en goguette.

— Où va-t-on ?

— J'hésite encore un peu...

— Comment ça ?

Il me fait signe d'entrer dans sa chambre, toujours le sourire aux lèvres.

— Je vous en prie, susurre-t-il.

J'entre, excédée.

— Bon sang Ambroise, il est neuf heures du matin. Attendez encore au moins une heure avant de me sortir votre numéro de charme, là je n'ai pas encore les yeux en face des trous.

J'entre dans sa chambre et constate que le grand craft est toujours étalé au sol.

— Vous n'avez pas plus pratique pour une chasse au trésor ?

Il brandit son smartphone dernier cri.

— J'ai tout numérisé. J'y ai passé une partie de la nuit ! Mais pour accéder aux détails, une échelle un peu plus grande n'est pas inutile.

J'essaye de ne pas marcher sur la carte géante avec mes boots.

— Alors, je demande. Quel est le problème ?

— Voyez-vous, me répond-il en pointant la partie supérieure droite de la carte. On lit nettement les emplacements et les lieux du Limousin dans son ensemble. La corne de la licorne, là, représente le croisement entre la Creuse et la Petite Creuse. Et ici, le séant du chien entoure la Corrèze.

— Fascinant. Et là, c'est quoi ? je demande en pointant un lieu déterminé que je prends pour l'emplacement du trésor.

Ambroise éclate de rire.

— Zélie Kashinsky ne devait pas manquer d'humour ! C'est la ville de Tulle, en Corrèze. Elle était désignée par l'anus du chien, qui était brodé d'une perle.

Je ne peux m'empêcher de rejoindre Monteiro dans son fou rire.

— Et à quoi tout cela nous mène-t-il ?

— Justement, se calme Ambroise, soucieux. Je suis bloqué. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. J'ai réussi à établir un schéma. Le bout pattes des animaux, soulignés par des perles, désignent une zone si on les relie les uns les autres. Une autre zone se dégage du recoupement entre les six fleurs rouges du motif mille fleurs. Les yeux des animaux étant également bordés de perles, j'ai cru qu'en reliant ceux-ci, on déterminerait une zone encore plus précise.

— Et ça n'a pas fonctionné ?

Ambroise sort un grand calque de sous son lit. Je me demande ce que ça peut bien faire là. Il faut croire que ça fait partie de la panoplie de chasseur de trésor. Je m'attendais plutôt à des jumelles, une pioche... ou un revolver, pour affronter les pilleurs de tombe. Ah, suis-je bête, ce sont nous, les pilleurs de tombe.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant