13.3 - QU'AIS-JE DONC FAIT AU BON DIEU

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— Qu'est-ce que vous faites ici, Antoine ?

Rivière rougit jusqu'aux oreilles, tout en me reprenant :

— Lieutenant.

— Oh, je vous en prie, je m'agite au grand dam de Janis. J'ai eu votre collègue Bougival au téléphone, vous avez laissé tomber mon enquête. Alors Antoine ou Rivière, peu importe. Vous êtes en vacances, non ? Laissez-vous un peu aller.

Le bougre m'attrape par le bras et me traine sans ménagement hors de portée de voix de notre logeuse, totalement effarée par la scène. Il s'approche tout près de mon visage pour ne pas être entendu. Bien trop près, en fait.

— Je ne crois pas que nous ayons gardé les cochons ensemble, grince-t-il d'un ton amer. Donc ce sera lieutenant Rivière, Mademoiselle Kashinsky. Et lieutenant Bougival. Et non, je n'ai pas laissé tomber votre enquête. Et non, je ne suis pas en vacances.

Je reste tétanisée par autant d'agressivité manifeste. J'ai visiblement poussé l'oisiveté jusqu'à oublier les convenances sociales, ou du moins, les limites raisonnables à observer avec un individu qui se revêt d'une simple gabardine sous la neige. Je laisse Mike Hammer continuer sa tirade.

— Et d'abord, que faites vous ici ? Vous me suivez ? Ma collègue m'a informé que vous aviez tenté de me joindre. Comment m'avez-vous trouvé ici ? Vous menez votre propre enquête sans l'aide de la police ? Vous vous rendez compte des risques que vous prenez ?

Il me fait mal au bras. Pourquoi ne me lâche-t-il pas ? Je finis enfin par réussir à me libérer et lui fait face avec toute la contenance que j'arrive à réunir à ce moment là.

— Je vous demande pardon ? Mais c'est vous qui me stalkez ! Je traine tranquillement ici depuis quatre jours et qui vois-je débarquer comme une fleur ? Le lieutenant Rivière ! Et où vous ais-je vu la dernière fois ? Dans mon propre appartement ! Vous me tombez dessus alors que c'est moi qui devrait clairement m'inquiéter ! Retirez tout ce que vous venez d'insinuer ou je dépose une main courante.

Il me regarde comme la dernière des crétines. Ce que je suis peut-être. Après tout c'est un flic. Prendra-t-on au moins ma main courante ?

— Mais qu'est-ce que vous fichez à Felletin ?

— Je suis en vacances !

— Les jeunes femmes de votre âge ne vont-elles pas plutôt aux Maldives ?

— Vous me prenez pour Crésus ou quoi ?

— Vous avez une maison à deux pas d'ici. Vous me prenez pour un idiot.

Soudain, ça m'apparait comme le nez au milieu de la figure. Angèle, tu peux parfois être d'une telle clairvoyance. Je m'impressionne moi-même. Nous sommes en train de nous méfier l'un de l'autre en pensant que l'autre nous manipule en nous prenant pour le dernier des derniers simplets. Un peu de bienveillance, me dirait ma mère. Ce n'est qu'une coïncidence. Enfin, ça c'est ce que me dirait ma mère, parce qu'il se trouve que je ne crois pas aux coïncidences. Mais j'ai envie de laisser le bénéfice du doute à Rivière. Mais s'il n'est pas en vacances, en fait, que peut-il bien faire à Felletin ?

— Ça ne vous regarde pas, lâche-t-il.

J'ai du penser un peu fort. Les mots sont sortis tout seuls de ma bouche. Il me tourne le dos, va remercier Janis pour son accueil et sort aussitôt de la maison. Je me précipite à sa suite. Le gel ambiant me fige sur le pas de la porte. J'entends claquer une portière de voiture avant de voir passer une 4L vert d'eau devant le portail. Je perçois Rivière au volant.

Je me précipite à l'intérieur, monte les escaliers quatre à quatre pour enfiler un manteau et une écharpe et redescends en trombe. je passe devant Janis sans prendre le temps de lui adresser la parole et cours à l'extérieur. Bien entendu, la 4L n'est plus dans la rue. Mais il ne neige plus. Elle a laissé de belles traces de roues sur la route immaculée. Je les suis quasiment jusqu'au cœur de ville où, malheureusement, elles se mêlent à des dizaines d'autres sur l'axe principal de Felletin. On a beau être dans une petite agglomération, je suis la seule en vacances, ici. Tout le monde va travailler. Tout ça était trop beau. Je rebrousse chemin de mauvais poil.

Ce ne peut pas être une coïncidence. Et Rivière n'est pas très fin, il aurait pu me laisser croire qu'il était en vacances mais n'en a rien fait. Je suppose donc qu'il travaille. Il semblait penser que je menais ma propre enquête. Et a clairement dit qu'il n'avait pas laissé tomber la mienne. Je serais sur la bonne piste ? Il est à Felletin pour découvrir d'où vient le squelette de Zélie !

Je saute à moitié de joie en réalisant que je ne fais pas tout ça pour rien. Je suis sur la bonne piste ! Mais Rivière est en train de me la piquer. Et pourquoi cette fichue Jacqueline Bougival m'a-t-elle fait croire que l'affaire était close ? Elle a même refusé de me passer Rivière au téléphone. Ils cherchent à me cacher quelque chose. Pourtant c'est dans MON jardin que J'AI troué ce fichu squelette ! Ils ne croient tout de même pas que je vais laisser filer toute cette histoire ?

Si rivière est sur la même piste que moi, il s'est peut-être rendu à la maison Pinton. Je change de direction et décide de m'y rendre dès aujourd'hui. Je vais le prendre de court. Pas question de me laisser en dehors de ça. Attends Rivière, tu va voir ce que tu vas voir !


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visuel : Claude Monet, Vallée de la Creuse, ciel gris

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant