8.2 - UNE FLOPÉE DE DE BOURG MOISIS

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Je reste là sans rien faire au dessus du trou béant, la tête trop pleine de questions pour faire quoi que ce soit. Je ne vais tout de même pas y aller ? Et si je me faisais prendre par quelqu'un ? Par qui ? Qui pourrait passer par là ? Et puis Julie est là pour faire le guet... Je la regarde furtivement. Je crois qu'elle rends le reste de son jus de citron sur la stèle abandonnée. Génial.

Je dois dire que j'ai les chocottes. Je n'ai jamais imaginé un instant dans ma vie me trouver dans cette situation. Je ne sais pas à quoi ressemble l'intérieur d'un caveau. Je doute que ce soit aussi théâtral que dans Roméo et Juliette.

Est-ce que ce que je m'apprête à faire n'est pas illégal ?

Je pose la pointe de ma chaussure sur la première marche que j'arrive à atteindre en contrebas. Qui le saura ?

Allez, les fantômes, ça n'existe pas.

Tendue comme si mon corps entier retenait sa respiration par les pores, je m'engage dans l'escalier sous-terrain qui descend dans le tombeau des De Bourg. Très vite, je n'y vois plus rien. je sors mon téléphone en guise de lampe torche.

Malgré le faisceau restreint de ma lampe, je comprends rapidement que le lieu est exigu. Très vite, je bute sur un objet et manque de tomber dans les cercueils. Je regarde ce sur quoi je me suis pris les pieds. Mon sang se glace. Un os. Dieu du ciel. Et c'est le cas de le dire.

À nouveau, je me fige sur place. Je balaie la tombe de ma faible lumière, jusqu'à ce que j'aperçoive un amas qui ne me dis rien qui vaille. Je m'approche aussi rapidement que ma peur me le permets, à savoir plus lentement qu'un escargot qui ne se presse pas. Peu à peu, je comprends le spectacle qui s'offre à moi : un certain nombre de cercueils en bois ont été éventrés. Je ne comprends pas comment ils étaient disposés, mais il est probable qu'ils gênaient l'accès du profanateur de tombe à ce qui l'intéressait vraiment. Ou bien il ne savait pas vraiment ce qu'il cherchait. Quoi qu'il en soit, il faut avoir des tripes et une bonne dose d'irrespect pour effectuer un tel travail.

Mon cœur manque de lâcher lorsque mon faisceau lumineux se pose sur un visage momifié. Mais sérieusement, pourquoi, mais pourquoi cette personne n'a pas eu le bon goût de se décomposer comme tout le monde ?

Je déplace ma lampe pour ne plus voir les os, les squelettes, le corps momifié, les vêtements troués. C'est un tel bazar que je commence à me demander si j'y trouverai une information intéressante.

Soudain, j'entends un petit couinement aigüe dans mon dos. Oh non. Deuxième couinement. Des rats.

Je ne demande pas mon reste et rebrousse chemin à la vitesse de l'éclair. Je retrouve Julie affalée sur sa pierre tombale. Elle redresse sa tête échevelée et me toise d'un œil torve.

— Tu as trouvé ce que tu voulais ? gémit-elle.

— Non. Mais je crois que tu as raison, c'est la tombe que je cherche. C'est sens dessus dessous là dessous.

— Tu as trouvé le cercueil de Zélie ?

— Non, il n'y a pas de nom.

Toute à sa confusion post-traumatisme mortuaire-post-beuverie, elle pointe le caveau du doigt.

— Je sais pas comment ils font chez toi, mais chez nous, on écrit les noms sur le marbre pour l'enterrement.

Je me sens stupide. J'ai du trop traîner au père Lachaise le dimanche matin en quête du rare silence parisien, au milieu de tous ces monuments funéraires arborant un seul et unique nom. Mais maintenant que j'y pense, certains y sont gravés d'une liste longue comme le bras débutant au dix-huitième siècle. Pas de raison que ce ne soit pas le cas ici.

Je retourne à mon affaire et fait le tour de la maisonnette à la chauve-souris. Sur les murs de chaque côté sont gravés les noms des personnes enterrées ici. Et désormais profanées, paix à leur âme.

Des De Bourg partout, dont quelques épouses aux noms de jeunes fille différents. Puis, enfin, Zélie Kashinsky, née De Bourg. Tiens. Ne devrait-elle pas se trouver dans un caveau Kashinsky ? Je continue à lire. Le voilà. Henri Kashinsky. Pas de Debiere à l'horizon. En tout cas, la propriétaire de la robe à la licorne vient bien de cet endroit. Elle a été déterrée, passée dans mon jardin, dévêtue, abandonnée dans les bois, et personne n'a rien remarqué. Mais que fait la police ?

Je rejoins ma collègue d'un pas décidé. Cette histoire ne rime décidément à rien. Julie a l'air de se remettre. Il faut dire, un vent gelé nous flagelle le visage comme un père fouettard avec de mauvaises filles. Il est temps de partir.

Dans la voiture, je lui fait humer les vapeurs d'une bouteille de Riclès pour lui remettre les idées en place.

— J'ai cru... arrive-t-elle à articuler d'une voix rauque. J'ai vraiment cru que j'allais voir un fantôme.

— C'était juste un courant d'air.

Elle rougit.

— J'ai eu la peur de ma vie aussi. Je n'aurais pas du t'emmener, je suis désolée.

Je la sens rassurée de me voir tout aussi chamboulée.

— Sois pas désolée, ricane-t-elle. Je vais avoir un paquet de trucs à raconter lundi, au bureau !

Nous rigolons bêtement assises dans notre voiture au milieu de la campagne enneigée. Je crois qu'on a besoin d'un bon feu et d'un bon café.


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visuel : Paul Delaroche, La Jeune martyre

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant