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Je me réveille dans un lit qui n'est pas le mien. Bon, ce qui est sûr, c'est que j'ai raté mon train. J'entends la douche couler derrière la porte de la chambre. Je suis dans des draps blancs et propres, c'est tellement agréable. Ça fait longtemps que je ne les avais pas sentis directement sur ma peau. La sensation des lendemains heureux. Pas de ceux, trop nombreux, où je préfère m'enfuir sans faire de bruit.

J'enfouis mon visage dans l'oreiller qui a conservé l'odeur du parfum d'Antoine. J'attrape mon téléphone qui est resté dans la poche de mon jean. 7h30 du matin. Je devrais reprendre un billet pour rentrer à Paris. Cette pensée me fait mal au cœur.

La douche s'arrête de couler et Antoine apparait dans l'encadrement de la porte, ses vêtements à la main. Ses cheveux sont encore mouillés. En fait, il est encore mouillé. Mais pourquoi les mecs ne se sèchent-ils pas en sortant de la douche ? Que leur a appris leur mère ?

— Tu es réveillée ? s'étonne-t-il.

— Encore heureux, je murmure d'une voix pas encore éveillée. Tu n'allais pas me laisser tes clés. Tu vas bosser à quelle heure ? J'allais prendre mon billet de train.

Il laisse tomber sa chemise par terre et vient me rejoindre sous les draps pour m'enlacer. Sa peau est chaude, bonheur absolu.

— Je pars dans une demi heure, me répond-il en enfouissant son visage dans mon cou.

J'envisage de commander ce billet, sauf que nous trouvons cela bien plus intéressant de faire à nouveau l'amour comme des adolescents avant le retour de leurs parents.

Antoine me dépose à la gare à 9h. J'ai le cœur serré en quittant la voiture et en le laissant repartir. Je ne veux pas savoir comment il se sent. Je ne veux pas savoir si je lui manque ou pas. Je ne veux penser à rien. Je m'engouffre dans le train, trouve mon siège et m'empêche de pleurer durant tout le trajet parce que j'ai une dignité, merde !

Le retour à Paris ne se fait pas sans encombre. Je me sens à l'étroit dans mon studio sous les toits. Je n'arrive pas à trouver le calme, même sous une pile impressionnante d'édredons, chocolat chaud sous la main.

J'ai encore deux semaines de vacances. Mais la solitude est insoutenable. Le premier jour, je dors toute la journée. Ensuite, l'angoisse me gagne. Je ne veux pas rester seule.

J'en arrive à envisager d'appeler Rivière. Ou de lui envoyer un sms. Mais je n'ai aucune nouvelle de lui depuis trois jours. Il doit avoir envie de tout, sauf d'entendre parler de moi, apparemment. Mais l'étreinte en plein commissariat, ça doit bien vouloir dire quelque chose, non ? Et cette nuit passée ensemble ? C'était peut-être un adieu. Qu'est-ce qu'il s'en fiche, lui, d'Angèle Kashinsky ? Il doit avoir plein de petites agents de sécurité limougeaudes en train de se pâmer devant lui à l'accueil. Mais qu'est-ce que je raconte ? J'aime vivre seule. À un moment donné, j'arrêterai d'avoir peur et ce sera à nouveau génial.

Garde ta fierté Angèle, soit digne. Je tombe nez à nez avec sa carte dans la corbeille à papier. J'avais oublié l'avoir laissée là. Juste en dessous, je trouve celle du psy de Julie. Mmmm.... je devrais peut-être passer un coup de fil.

Lorsque je raccroche de ma prise de rendez-vous, je vois que Julie a tenté de m'appeler cinq fois. En deux minutes. Je la rappelle aussitôt.

— Angèle, tu es où ?

— Je suis chez moi. Qu'est-ce qui se passe ? Un truc au bureau ?

— Tu es déjà rentrée ?  Tu ne voulais pas rester à Limoges ? Je t'ai eu au téléphone il y a cinq jours, tu as fait quoi depuis ?

— Rien, je me précipite. Pourquoi ?

— Parce qu'il y a un type au bureau qui demande des trucs sur toi !

Mon sang se glace.

— Un type, quel type ?

— T'as fait une connerie ? Il a une tête d'agent secret.

Les battements de mon cœur s'accélèrent dangereusement. Il ne m'aurait pas suivie jusqu'ici tout de même ? Maintenant que j'y pense, il savait absolument tout de moi. Il doit également connaitre mon adresse. Le genre de personne qui ne laisse rien au hasard.

— Julie. C'est très important. À quoi il ressemble ?

— À un agent secret, rit-elle. T'as fait une touche, ma belle ? C'est ton lieutenant Rivière ? C'est vrai qu'il est sexy !

— Il est sexy ? Genre sex appeal incontrôlable ?

— Faut pas exagérer non plus.

— Julie, pitié, j'ai besoin que tu le décrives, tu entends ?

— C'est quoi ton problème, chérie ?

— Il est grand ? Petit ? Il a les cheveux poivre et sel ? La cinquantaine ? Un sourire à faire tomber même Béa, de la compta ?

Silence à l'autre bout du fil. Je perçois des froissements de papier et le roulement de sa chaise de bureau sur le vieux parquet de l'appartement dans lequel est logé l'agence. Julie reprend son combiné. Elle appelle avec son fixe professionnel. Pour sûr, François Briard ne lui donnera pas une mise à pied, à elle.

— Tu as tout faux, me belle, ricane-t-elle. C'est un grand blond aux yeux bleus. La trentaine. Charmant mais un peu spartiate. Veste en tweed et pantalon de velours côtelé. Je n'ai pas réussi à entendre son nom.

Une vague de soulagement parcours mon corps entier. Je la sens même détendre mon petit orteil. Monteiro n'est pas en train de me poursuivre. Ce serait une perte de temps, ma foi. Il s'est envolé avec la totalité des diamants qui devraient revenir à ma famille, et doit plutôt utiliser son temps libre à se faire soigner sa main. Je reviens à Julie.

— Non, ce n'est pas Rivière.

— Il y a un truc entre vous ? Je t'ai jamais entendue aussi pressée que je te décrive un mec.

— Non. Enfin oui, mais... c'est compliqué. Si tu pouvais savoir qui est ce type ?

— À vos ordres ! Ahah, j'adore, j'ai l'impression de mener une enquête ! Comme l'autre jour chez ta grand mère. Enfin, avec le moment flippant au cimetière en moins, si possible.

— Tu n'es pas allé raconter tout ça à François au moins ?

— Mmmm... c'est possible.

— Julie, je grogne.

— Juste un peu.

— Essaye de te renseigner sur le gars qui pose des questions sur mon compte. Et tient ta langue. J'ai pas envie d'avoir des emmerdes.

— Oui chef. Je te rappelle dès que je sais quelque chose.

Vers vingt heures, Julie m'envoie un sms.

« RAS ».

Je me résouds à écrire à Antoine. Mais pas un truc romantique. Je décide de taper « As-tu envoyé un collègue blond poser des questions sur moi à mon employeur ? ». Après réflexion, j'ajoute un « Bonjour ».

À minuit, mon écran s'allume. Je me précipite dessus comme une furie pour lire la réponse d'Antoine.

« Je ne sais pas. Ça va ? »

Ah. Ça attendra demain pour répondre. Il faut vraiment que je dorme.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant