12 - BIEN ENTENDU, OLGA EST TROP POLIE

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Ni une ni deux, ma valise est faite. Dans la mesure où il y a toujours de la place dans le train pour la Souterraine et dans le car pour Aubusson, je réserve la mienne pour le lendemain matin. J'envoie un texto à Julie pour la prévenir, en m'empêchant d'être trop vindicative à l'égard de son amant. J'ai peut-être abusé, mais je n'ai pas non plus imprimé les trois cents faire-parts de mon mariage sur l'imprimante couleur du bureau comme d'autres pourraient le faire.

Il se trouve que le lendemain, alors que je suis dans l'intercité direction Toulouse, je n'en ai plus rien à faire. J'ai fait une halte à Limoges pour récupérer la robe et je prends désormais une place folle avec la housse dans laquelle je l'ai plus fourrée que délicatement rangée. Je n'ai aucune idée de comment manipuler une robe destinée à être portée sur des vertugadins. Je sens déjà que je vais me faire engueuler par un quelconque spécialiste historique du tissu ou de la mode. Sauf si, à l'instar du docteur Massi, ils trouvent tous que cette robe est conçue dans une affreuse contrefaçon de tapisserie.

Après un interminable trajet en car, j'arrive à Aubusson sous la pluie. La ville est grise et la Creuse qui la traverse agitée. Je distingue une tour d'horloge sur les hauteurs, seul bâtiment mémorable au milieu des pierres et des tuiles noires. La gare routière semble être au milieu de nul part. Je suis chargée comme un mulet et c'est la croix et la bannière pour rejoindre l'hôtel dans lequel j'ai réservé une chambre.

Une dame d'un certain âge m'accueille d'un regard sans éclat, probablement perdu depuis longtemps à vivre ici. Elle me conduit à mon étage, où je m'attends à être amenée à une chambre sordide. Bonne surprise, le lit est grand, confortable bien que datant sans doute des années soixante-dix, tout comme le couvre-lit en velours kaki.

La salle de bain est propre et agréable, couverte de petite mosaïque irisée. Une journée de voyage pour atterrir au milieu de nul part mérite bien une douche. Enfin, je suis mauvaise langue, on n'est tout de même pas aux Arbouillères.

Une fois rafraichie et couverte d'un énorme pull en alpaga qui prend à lui seul la moitié de la place dans ma valise, j'appelle le docteur Massi. Nous convenons d'un rendez-vous le lendemain. Je suis ravie que les spécialistes de la tapisserie travaillant à Aubusson soient si disponibles. Je devrais peut-être songer à quitter Paris.

L'hôtel propose un petit déjeuner dans une salle désuète aux lourds rideaux moutarde tenus par des cordelettes or à pompon. Encore deux trois détails, et je me sentirais comme chez mamie Colette. À savoir chez moi, désormais.

Le boulanger est visiblement en train de chercher un nouveau métier vue l'infâme croissant en carton que j'avale ce matin. Le chocolat chaud ne rattrape rien. J'ai rendez-vous à dix heures trente, peut-être trouverais-je un café digne de ce nom en chemin ?

La pluie s'est arrêtée pour laisser place à un ciel d'un bleu que ne perturbe aucun nuage. La ville prend ainsi un tout autre visage. Je distingue les vieilles pierres, les poutres apparentes et les constructions arquées datant probablement de plusieurs siècles. Le petit pont traversant la Creuse est absolument adorable. Mais je ne m'y attarde pas, chargée de la robe et devant me rendre à pied jusqu'à la Cité de la tapisserie.

Le froid est on ne peut plus mordant.En chemin, je croise une librairie qui se nomme La Licorne. Quelle ironie. À part ça, uniquement des rades et des PMU. Merde. J'arrive à la cité internationale de la tapisserie le ventre vide.

Le docteur Massi est une flamboyante femme d'une quarantaine d'années arborant une massive chevelure blond vénitien et une paire de lunette dont l'originalité ferait pâlir Richard Gotainer. Trou-trous et dorures au rendez-vous. En trente seconde de présentation, je la trouve géniale. Son énergie est contagieuse. Je me marierais bien avec elle tout de suite.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant