15 - DOIT-ON ÊTRE RESPONSABLE DES ERREURS DE NOS PÈRES

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Je me présente à la Maison Pinton le lendemain à l'heure de mon rendez-vous, chargée de ma robe sous housse. Il y a enfin quelqu'un à l'accueil. Un jeune homme d'une vingtaine d'années, brushing chatain parfait avec petite raie lissée au peigne, chemise à carreau habillée d'un veston au motif mille fleurs (maintenant je sais ce que c'est). Il a coiffé sa moustache en pointe. Je trouve ça excessivement charmant. J'ai envie de lui pincer les joues. Null e trace de Sean Connery. Il doit être installé à son bureau ou son métier à tisser, le cerveau fumant, penché sur son dur labeur de maître en histoire de la tapisserie. Enfin je crois. J'imagine.

Le petit Arsène Lupin à la moustache me fait patienter quelques minutes avant de me permettre de circuler dans le sacro saint couloir blanc qui mène aux bureaux. Il a du recevoir une éducation très stricte et bienveillante, puisqu'il m'aide à porter ma housse. Ce que personne croisé dans Aubussson ou à la Souterraine, ou où que ce soit dans le Limousin d'ailleurs, n'a fait jusque là. On m'installe dans celui de Madame Cacheton (ça ne s'invente pas), une austère représentante de la maison, chignon tiré à quatre épingles et tailleur assorti dans un style très années 90. Le docteur Massi me manque soudain terriblement.

Après quelques brèves présentations, j'expose mon problème à Madame Cacheton. Elle jette un œil à la robe en dézippant légèrement la housse en plastique. L'odeur de la robe lui monte au nez et je note un net mouvement de recul de sa part.

— Le motif est très intéressant, toussotte-t-elle.

Elle tente à nouveau un regard, furtif, avant de rapidement relever le zip pour sécuriser la zone olfactive.

— Une spécialiste de la Cité Internationale de la tapisserie d'Aubusson m'a suggéré que votre maison était suffisamment ancienne pour avoir pu réaliser le tissu de la robe. C'est pour ça que j'ai pris rendez-vous. Vous avez probablement des archives.

— C'est un travail impressionnant de recherches, me réponds Madame Cacheton. Cela a pu être réalisé à bien d'autres endroits. Après tout, le dessin n'est pas d'une qualité exceptionnelle.

Certes, je trouve la robe de Zélie super moche. Mais ça commence à être vexant que le tout un chacun me le fasse remarquer. N'est-ce pas un peu pédant comme remarque ? Qu'est-ce qu'elle en sait, celle là, s'il n'y a pas eu un petit apprenti du XIXe siècle particulièrement peu doué à qui on aurait confié ce travail ? Est-ce que je lui fait remarquer, moi, que son ancêtre qui a choisi de s'appeler Cacheton n'était pas particulièrement avisé ? Comme disait l'autre : doit-on être responsable des erreurs de nos pères ? Ou de nos mères, en ce qui me concerne ?

Je cherche un argument pour ne pas être mise à la porte sans plus approfondir le sujet.

— La spécialiste d'Aubusson m'a indiqué que la tapisserie était tissée avec de la soie. Elle dit que le travail est qualitatif, mais le dessin d'après lequel il a été fait devait déjà être moche.

— Je ne dirais pas moche...

— Si, c'est moche.

— Ce n'est pas de première qualité.

— Mais le fil l'est. S'il vous plait, pourriez-vous vérifier dans vos archives ? J'ai même le nom de mon ancêtre à qui appartenait la robe. Enfin, j'ai trois noms. Je ne sais pas lequel elle a utilisé.

La mère Cacheton parait être en proie à un dilemne intérieur. Elle se décide enfin à me porter secours. Elle doit être persuadée de faire une bonne action, car elle prend un ton de connivence pour me l'annoncer, en me posant la main sur le bras dans un geste maternel qui me hérisse le poil.

—Je vais voir ce que je peux faire, Mademoiselle Kashinsky. Notez ces noms sur ce post-it.

Je note De Bourg, Debiere et Kashinsky sur son papier jaune.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant