6.2 - AU FIN FOND D'UNE MALLE

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Je pars finalement pour les Arbouillères le premier week-end de février en compagnie de Julie, petite concession à son escapade de la semaine précédente. Nullement intéressée par la campagne hivernale du Limousin, je crois qu'elle a plutôt accepté de venir pour pouvoir se pavaner sur une véritable « scène de crime ». Même s'il a été prouvé qu'il ne s'agit pas d'un meurtre. Rivière ne m'a pas recontactée suite à son « Merci », mais il me semble assez logique qu'ils aient laissé tomber la piste intentionnelle si le test au carbone 14 corrobore ma découverte.

Ça me vexe tout de même un peu de ne pas avoir été tenue au courant.

Glissons. J'emmènerai Julie dans le sous bois, où il n'y a plus rien à voir, en contrepartie je ne serai pas seule dans la maison la nuit avec mes peurs irrationnelles mais bien présentes.

Julie, contrairement à moi, a son permis de conduire ET une voiture. Comme toute personne n'ayant pas grandi à Paris, en fait. Mon amie et collègue vient du Havre. Pour une fois, je ne me farcirai pas tout le trajet en Intercité suivi d'un taxi hors de prix.

Dès qu'on passe la route de Vierzon, j'ai droit à tout Jacques Brel a capella et la neige commence à tomber. Ce qui se fait sans trop d'encombre sur l'autoroute devient une vraie galère jusqu'à Limoges, puis jusqu'aux Arbouillères. La neige. Pas jacques Brel. Ma compagne déchante dès qu'elle a déclamé son dernier souvenir de Ces Gens là. Arrivées à la Villa des Heures Claires, on ne sait pas trop si on pourra redémarrer la voiture pour repartir dans deux jours. Les roues sont embourbées. Nous nous précipitons à l'intérieur pour nous réchauffer en priant pour un meilleur temps d'ici dimanche.

Suite à ma découverte macabre de mon dernier séjour, bien entendu, j'ai oublié de laisser le chauffage. Je peste, et pas qu'intérieurement. Heureusement, le bois resté à l'intérieur du manoir est sec et nous organisons une grande flambée. Nous trinquons bien plus que de raison au pied du feu, grâce au whisky et aux verres en cristal trouvés dans le bar en forme de globe terrestre de mamie Colette. J'y trouve également une bouteille de Ricard, avec son fameux petit dé doseur, et me sens l'âme de tonton Jaquie en proposant une petite anisette. Quelle chance, Julie adore.

Nous nous installons un cocon de guingois devant la cheminée, comme des ados qui avons l'autorisation de dormir l'une chez l'autre, avec les sempiternels édredons de ma grand-mère et un grand tissu rose trouvé dans le coffre au pied du lit de la chambre d'amis, que nous tirons de part et d'autre de la pièce, suspendu entre deux dossiers de fauteuils. Nous avons ainsi l'impression de bivouaquer. Et d'avoir treize ans. Bonheur absolu.

La gueule de bois du samedi matin est un peu plus rude. Je suis hirsute, débraillée et mes joues sont couvertes de mascara coulant lorsque j'ouvre la porte au paysagiste vers midi. C'est un grand type massif en chemise à carreaux et au visage poupon sur la tête duquel on semble avoir déposé une choucroute frisée d'un noir peu naturel. Je lui propose un café et en profite pour en faire une pleine carafe pour nous.

Alors que Julie me regarde, amusée, sortir dans le froid mordant pour guider mon entrepreneur, je jure in petto en constatant que lui a eu le discernement de se garer à l'abris des arbres qui ont protégé le terrain de la neige, et que je ne me suis toujours pas acheté de bottes en caoutchouc. Je me promène donc à nouveau avec les sabots aux pieds. Il ne manquerait plus que Rivière et Bougival ne débarquent dans mon jardin et le tableau serait complet.

En lieu et place de la pénible corvée de paysagiste à laquelle je m'attendais, Monsieur Blond, mon entrepreneur, est un artisan passionné qui me donne envie de répondre « oui » à toutes ces suggestions. La balade hivernale se transforme en rêve de printemps. De plus, le froid contre mes joues me réveille tout à fait, et quand je rentre enfin, ma motivation est remontée à bloc. j'ai une folle envie de signer un devis et de m'attaquer à la maison. Julie s'est recouchée. Formidable.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant