En passant à la gare routière, je me rends compte que je suis passée par Felletin en car en venant. Sauf que je dormais. Bien entendu. Un nouveau coup de fil s'impose. Sur mon compte personnel, cette fois ci. Vacances forcées obligent.
La maison Pinton ne semble pas être une entreprise comme les autres. Je me suis renseignée, il y a mille sept cents habitants à Felletin. Mais la maison Pinton n'accepte de me donner rendez-vous que dans cinq jours. Un coup d'œil rapide sur google street view me fait tout de même me décider pour un changement de localisation.
Contrairement à la manufacture apparemment prisée de la ville, il n'est pas vraiment complexe de me dégoter une chambre d'hôte sur place en plein mois de février, dans un charmant gîte non loin du cœur de ville. Le centre historique, le marché et le châtelet ont l'air cent fois plus intéressants que ceux d'Aubusson, que je quitte le lendemain sans aucun regret.
Le car roule à quarante kilomètres heure. Ce ciel bleu aurait du m'alerter. Les températures ont chuté dans la nuit et le paysage de la Creuse est désormais totalement blanc. Évidemment aucune commune n'a prévu le coup et les pneus non adaptés de mon moyen de transport public font de leur mieux sur plusieurs centimètres de neige.
On me largue à Felletin légèrement en dehors de la ville. Mais diable pourquoi est-ce que je ne me déplace pas obligatoirement avec les sabots de mamie planqués dans ma valise dès que je pose le pied dans le Limousin ? Rejoindre mon gîte en talons dans la neige est une gageure. Je pourrais perdre un orteil, qui sais ? Ou même deux.
Mon hôtesse est une personne absolument charmante qui vient à ma rencontre sur le palier avec un parapluie malgré les quatre flocons qui se battent en duel. Dès que je pose le pied à l'intérieur de la maison, une adorable petite chose typiquement creusoise avec des prunus dans la cour, je me sens tout de suite réchauffée, rassurée, encocoonée. Je suis débarrassée de mes valises par Monsieur Dubré, mon hôte, un être à l'air renfrogné qui cache sans doute un amateur de chasse et de fromages de caractère que je nomme pour moi-même arbitrairement Clotaire, comme mon oncle qui a le nez ravagé par des années d'alcool. Il porte mes bagages directement dans ma chambre pendant que sa femme range le parapluie et me fait faire le tour des parties communes. Tout est joliment arrangé avec beaucoup de goût, dans un charme désuet très recherché. Ces gens ont visiblement l'habitude de loger des parisiens en goguette. Je suis leur parisienne du mois de février.
Lorsque je peux enfin me reposer dans ma chambre, mon plaisir est encore plus exquis. Je découvre un confort encore plus abouti que dans mon appartement parisien adoré, que tout le monde trouve nul, sauf moi. Il y a un grand lit deux places —dans lequel je dormirai en travers puisque je n'ai personne avec qui le partager— avec un couvre-lit très chic à motif bleu, un grand coffre digne d'une chasse au trésor qui me sert de banc au pied du sommier, une coiffeuse comme je rêverais d'en avoir, en chêne vernis avec un immense miroir des années vingt et un lavabo en faïence accompagné de sa cruche aux motifs fleuris. Dans un sentiment de félicité absolue, je me jette sur le lit pour en découvrir son moelleux et sa bonne odeur de savon de Marseille.
Une heure plus tard, je m'endors comme si je n'avais aucun souci. D'ailleurs, finalement, je n'en ai presque pas. Qu'est-ce que la perte d'un emploi face à l'excitation de la découverte de l'origine d'une robe en provenance directe du caveau familial ?
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visuel : Claude Monet, Vallée de la Creuse, ciel gris
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La Licorne était borgne
Mystery / ThrillerAprès la découverte d'un squelette dans le jardin de sa grand-mère, Angèle se lance à la poursuite du mystère qui hante sa famille, sur la piste de perles précieuses, d'une veuve noire et d'une licorne biscornue. Cette histoire est terminée. Une sui...