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— Comment avez-vous découvert cela ?

— En me renseignant sur la veuve noire du Limousin. Colette m'a parlé de l'ancêtre de son mari et des diamants jamais retrouvés. J'ai enquêté. Chasser les trésors, c'est ma spécialité.

— Même lorsqu'il ne vous appartiennent pas.

— Même quand leur place est dans un musée, s'amuse-t-il. Zélie Kashinsky a été facile a trouver. Colette a été très coopérative. Elle m'a montré la lettre que votre ancêtre avait adressée à son fils Edouard. Tout y était. Edouard était juste trop stupide, ou trop borné pour comprendre. Toutes les clés se trouvaient dans les trois premiers romans écrits par Zélie. La tapisserie, la robe, les perles. Il fallait juste prendre le temps de lire sa bibliographie. Ce qu'aucun de ses petits rejetons n'a pris soin de faire, semblerait-il.

— Mamie les avait encore tous.

— Elle a à peine jeté un œil à l'un d'entre eux. Elle ne les a gardés que pour vous les léguer. Mais aucun de ses enfants n'a jugé utile de les prendre. Cette collection était conservée par fierté. C'est un miracle qu'elle aie perduré jusqu'à nous.

— Comment vous les êtes-vous procurés ? Je n'ai même pas trouvé trace des éditions Kashinsky sur internet.

— Inutile de me les procurer, me répond-il en faisant défiler les autres prises de vue de mon dossier numérique. Je les ai lus directement chez elle.

Je me lève d'un bon comme si j'avais été piquée par une bestiole. Je n'en peux plus qu'il insinue que mamie était mêlée à tout ça ! Comment ose-t-il me faire croire qu'elle aie pu prendre une part dans cet affreux pillage de tombe ?

— Arrêtez d'insinuer tout le temps que vous étiez intime avec ma grand-mère ! Je vous aurais croisé chez elle si ça avait été le cas ! Elle ne m'a jamais parlé de vous !

Il quitte l'écran des yeux pour me scruter.

— Ah bon ? Elle voulait peut-être garder ça pour elle.

— Garder quoi ?

— Le fait qu'elle avait un amant.

Ma machoire se décroche de surprise. Monteiro ferme ma bouche d'un petit geste insinuant de rester bien élevée. Comme si j'étais une gamine ! Mamie aurait eu un amant? Non ! Mamie a eu un amant ! Qui vient de me le dire ! Oh mon dieu !!!! La paire de bottes pour hommes dans le placard de la chambre !! Je savais bien que c'était louche qu'elle aie gardé celles de papi quinze ans après sa mort ! Monteiro était tellement souvent à la Villa des Heures Claires qu'il avait même sa paire de botte pour arpenter les bois du domaine ! Je rêve !

— Ah ! s'exclame-t-il, me sortant de mes pérégrinations mentales.

— Quoi ? je hurle, plus à une stupéfaction près.

— C'est exactement ce que je cherchais, annonce-t-il en montrant mon téléphone.

Je le lui arrache pour voir ce dont il me parle. Le cliché affiché à l'écran est la photographie que j'ai faite de Zélie datant de 1887, on où voit partiellement sa fameuse robe à la licorne, au chien et au singe, richement brodée de perles.

— Je ne comprends pas.

— Voyez-vous Angèle, m'explique-t-il d'un ton docte tout en sortant un rouleau de papier craft de sous son lit (moi aussi je devrais toujours me déplacer avec un rouleau de craft à l'hôtel, on n'a jamais assez de craft), il se trouve que ce n'est pas moi qui suis allé chercher Zélie Kashinsky dans la tombe.

— Ne me dites pas que c'était ma grand-mère.

Il me regarde avec des yeux ronds.

— Même si c'était elle, je ne vous l'avouerais pas. Vous seriez capable de me tuer avec ce stylo bille, me répond-il en désignant celui qu'il vient de sortir de sa poche.

Il s'affaire à étaler un maximum de papier craft sur le sol de la chambre. Ne comprenant rien à rien, je décide de vider ma coupe de champagne et de me reservir un verre pour oublier ma bêtise.

Monteiro commence à dessiner sur la grande planche de craft, en prenant modèle sur une des photos.

— La robe, dit-il tout en inscrivant de grands tracés, est en fait une carte. Le dessin des animaux en fait partie.

Les silhouettes biscornues des trois créatures apparaissent peu à peu sur son croquis.

— Mais il me manque un détail d'importance. C'est le tracé des perles.

Je contemple le début de la carte tout en engloutissant mon deuxième verre de champagne. En effet, les contours des animaux mis ensemble forment plus un tracé ressemblant à un département ou une ville qu'à un singe, un chien et une licorne. Ce qui explique sans doute également pourquoi ils sont si étrangement dessinés. Pourquoi ils sont si moches, même. Si la théorie de Monteiro est exacte, leur diformité s'expliquerait simplement par leur finalité, leur utilité, et non par la médiocrité du dessinateur du carton d'origine. Le Docteur Massi adorerait cette histoire, j'en suis certaine.

— La corne de la licorne sort complètement de la carte, fais-je remarquer.

— Oui, c'est un excellent point de départ pour comprendre ce que Zélie tente de nous montrer. Malheureusement, les villes, villages et les routes sont représentés par les perles. Et la personne que j'ai payée pour faire le sale boulot a dépouillé la robe avant de la prendre en photo.

Je regarde cet homme assis sur son dessin de chasseur de trésor. Il est élégant, bien portant, son sourire ravageur m'a fait fondre au premier regard. Peu importe qu'il soit recherché par la police et qu'il soit un criminel activement recherché dans le monde. À cet instant, je ne vois qu'une seule chose, et j'ai du mal à cacher mon émotion. C'est l'homme qui a abusé de la confiance de ma grand-mère, a profané la tombe de mes ancêtres, a sorti Zélie de la tombe, l'a dépouillée et l'a abandonnée dans un sous bois comme la dernière chose qui aie de l'importance sur terre. Peu importe qu'il ne l'ai pas fait directement. Je ne souhaite qu'une chose. Qu'on en finisse, pour que je puisse aller me réfugier dans un commissariat et apporter suffisamment de preuves contre lui pour le coffrer un maximum de temps.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant