18 - CRÈME POIRE VERVEINE ET SPÉCULOOS

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— J'ai noté qu'elles avaient disparues et surtout que compte tenu l'odeur de la robe... elle devait être portée par Zélie dans la tombe. Je me suis retrouvée à faire une exploration au cimetière.

— Il y a longtemps ?

— Il y a environ trois semaines, pourquoi ?

— Je m'y suis rendu en janvier. Je voulais être certain que ce n'était pas vous qui aviez profané la tombe.

Je suis outrée. Une fois de plus, cela doit immédiatement se refléter sur ma peau, car Rivière agite les mains de gêne.

— Je ne voulais pas insinuer...

— Mais vous l'avez fait.

— Non, écoutez, j'ai un autre suspect. c'était pour être sûr.

— Qui donc ?

— Si vous l'ignorez, c'est bien mieux. Je suis heureux d'apprendre que vous n'en savez rien. Enfin... vue que vous logez à Felletin, je devrais peut-être...

— Lâchez le morceau, Rivière !

Il se renfrogne. J'ai été trop directe. Mais les gens qui tournent autour du pot me rendent dingue. Ce qui, quand j'y pense, est un comble vue les emberlificotages que j'invente depuis des semaines pour tenter de récupérer des informations sans en divulguer moi même.

— Angèle, vous avez fait une investigation remarquable, mais vous devriez arrêter. Cela n'est pas une simple profanation de tombe. Ça va beaucoup plus loin.

— À cause des perles ?

— Non. À cause des diamants.

Comment ai-je pu déjà les oublier, ceux là ?

— Eux aussi circulent sur le marché noir ?

— C'est ce que je souhaite éviter. Nous travaillons d'arrache pied sur cette affaire, Angèle, laissez la police faire son travail.

Je ris à nouveau. On se croirait dans un mauvais film de genre. Au lieu de vexer Rivière, il m'accompagne dans mon fou rire.

Notre serveur profite de cet instant pour nous apporter un dessert au potimaron qui me met l'eau à la bouche.

— Vous avez encore faim ?

— Je me fiche de ma ligne. Je ne sais pas quand je vais mourir, Antoine, alors je préfère profiter de ce qui se présente dans mon assiette. Et dans ma vie.

— C'est bien solennel.

— C'est plutôt un principe.

Il me regarde étrangement, avec un sourire discret. Finalement, je crois que j'aime bien l'inspecteur Rivière. Il est poli, raisonnable, posé et plutôt gentil. Tout ce que ne sont pas les hommes que je fréquente en général, que ce soit dans mon cercle amical ou amoureux. J'aime sa voix grave qui calme tout de suite. Il serait d'une compagnie idéale pendant ce petit séjour creusois. Il pourrait faire partie de mes vacances. Je n'ai pas envie de me le mettre à dos.

Je m'attache à changer de sujet, sans pour autant lui promettre de ne plus enquêter sur la robe. Après tout, il ne sait pas que je suis en bout de course et que je n'ai plus de piste. Ma meilleure piste, c'est lui. J'ai réservé ma chambre jusqu'à la fin de la semaine. On verra où cette voie nous mène.

Nous terminons la soirée bons amis autour d'une crème poire verveine et spéculos. Je sais désormais que Rivière a fait ses classes à Sarcelles et n'a obtenu un poste que récemment dans sa région natale où, finalement, il s'ennuie un peu, mais savoure cette promotion bien méritée. J'ai pour ma part révélé que je tiens ma rousseur du côté de ma mère, et pas des Kashinsky, que ma sœur est la chouchoute de tout le monde dans la famille, que j'adore ses enfants mais que je lui laisse croire le contraire pour la faire enrager. J'ai peut-être aussi concédé avoir eu une sacrée frousse dans le caveau familial aux Arbouillères.

Je finis quasiment seule la seconde bouteille de vin, ce qui est, finalement, assez rassurant dans la mesure où c'est Rivière qui conduit. Je me laisse porter par les virages de la route et la conversation rare du lieutenant. Peu importe ce qu'il dit, j'aime bien sa voix.

Dans la cour de la maison d'hôte, alors que je cours vers la porte pour me mettre au chaud, il me retient par le bras.

— Angèle, je ne vous ai pas tout dit.

J'ai la tête qui tourne. Je ne veux pas rester trop près de lui. Je suis suffisamment bête pour me laisser faire.

— La personne que je recherche est à Felletin.

— De quoi est-ce que vous me parlez ?

— De la robe. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est la robe qui est importante.

— La robe de Zélie ?

Rivière me sert un peu plus par les deux bras, comme pour me réveiller de la brume dans laquelle je me trouve. Ça ne fonctionne pas très bien.

— Il s'agit d'un criminel recherché de longue date. Vous ne pouvez pas rester.

— Mais qu'est-ce qu'il ferait ici ?

— Qu'est-ce que vous, vous faites ici ? Et s'il était sur la même piste que vous ?

— Il a déjà eu la robe entre ses mains, alors j'en doute.

La brume commence à se dissiper. Je n'ai pas envie d'entendre parler de la robe, de Zélie, ou des perles.

— Je ne veux pas qu'il vous arrive quoi que ce soit.

— Je fais ce que je veux, Antoine.

Il semble s'arrêter un instant de réfléchir, et s'approche de moi pour m'embrasser. Ce que je trouve beaucoup plus intéressant que la brume d'alcool, Zélie, ou d'être recherchée par un criminel. Alors je parcours la distance qui me sépare d'Antoine et me laisse faire avec délectation.

Je lui prends la main et l'attire à l'intérieur de la maison. Clotaire et Janis ont l'air d'être au royaume des songes. Sans allumer la lumière de l'entrée, c'est moi qui attire le lieutenant contre moi pour lui rendre son baiser. Oui, décidément, ces vacances prennent une bonne tournure.

— Angèle, ce n'est pas en couchant avec moi que je vous permettrais de continuer cette enquête.

Je le débarrasse de son chapeau et de son écharpe pour les poser proprement sur le porte manteau. Je fais de même avec mes propres lainages, avant de m'engager dans la cage d'escalier.

— Mais qui vous dit que je vais coucher avec vous ?

Je le plante là, et m'en vais dormir tranquillement dans ma propre chambre. Reste bien là dessus, Antoine Rivière.


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visuel : Erté, Les perles d'or

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant