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Au commissariat, on ne me met absolument pas en garde à vue. Personne n'a porté plainte, même pas l'employée de l'église de Moutier d'Ahun. Comme, au final, je n'ai rien fait d'autre que de refuser l'aide de la police et de permettre à un inconnu d'examiner mon propre bien, à savoir la robe de Zélie, la police se contente d'entendre ce que j'ai à dire sur Monteiro.
Bien entendu, il serait tout de même extrêmement mal vu que je tente de quitter le territoire. Mais je n'en ai aucune intention. Je compte bien affronter tout ça comme une personne responsable, que j'ai peut-être un peu oublié d'être ces derniers jours.

On m'autorise à passer un appel téléphonique vers dix huit heures. J'appelle mon oncle Jacquie, bien entendu. Je le sens interdit à l'autre bout du fil. Mais il me promet qu'il vient au plus tôt.

Trente minutes plus tard, alors que je patiente dans le hall du commissariat entre une famille dont les deux enfants courent partout en hurlant et une jeune femme blonde qui soutient son amie, en pleurs, à ses côtés, c'est ma tante Corine qui débarque.

Je me lève et la suit en silence. Une fois dans la rue, elle me toise des pieds à la tête.

— Tu aurais pu prévenir, tout de même. Ça va salir les sièges.

— Je te rembourserai le nettoyage.

Elle me prend, elle aussi, dans ses bras. Mais cette fois ci, j'ai droit à un gros câlin. Un comme je n'en ai pas eu depuis... peut-être quinze ans. J'aurais aimé que ma mère fasse ça aussi. Je lui rends son étreinte là, au milieu de la rue et je me mets à chialer. Encore plus fort que dans le bureau privé de Moutier d'Ahun. Parce que cette fois, dans les bras de ma tante, avec qui je partais en vacances l'été pendant que ma mère méditait dans un ashram en Inde et que mon père faisait visiter la Riviera à sa petite amie du moment, je suis vraiment une petite fille. J'ai des coups de soleil, des bleus au genoux, mon cousin Gustave se moque de mes cheveux et joue à cache cache avec moi dans le jardin.

— Qu'est-ce qui t'est arrivé, encore ?

— Je sais pas trop, je sanglote.

— Ma pauvre chérie.

Elle ouvre la portière de son auto qui sent bon, m'ouvre la mienne de l'intérieur, et m'invite à m'asseoir parce qu'en vrai, elle s'en fiche que ses sièges soient couverts de boue. Elle ne me demande pas plus d'explications avant que j'aie pris une bonne douche chaude, que je me sois décrassée, et que je me retrouve assise à la table de la cuisine avec une anisette, affublée de sa robe de chambre rose, dans la mesure où les flics ont laissé mes bagages à Vallière.

Le lendemain, je ne peux que constater les dégats dans le miroir de la salle de bain. J'ai un cocard impressionnant à l'endroit où Monteiro m'en a collé une. J'ai la joue gonflée. Je fais vraiment mauvais genre. Surtout dans le pull léopard que m'a prêté Corine. Tant pis. Heureusement que je ne reprends pas le boulot tout de suite. J'aurais le temps de cocooner quelques jours à Paris pour me remettre. J'ai pris des billets de train pour ce soir, 20h.

À midi, je reçois un sms de Rivière. « J'ai récupéré tes affaires ».

Génial. Où sont-elle ?

« Chez moi. Suis au bureau. T'envoie l'adresse, tu peux passer les prendre à 18h ».

Il pourrait me les ramener, non ? Mon train est à 20h30. L'aller-retour est envisageable. Passons sur le manque de délicatesse. Je me demande s'il a aussi pensé à prendre la robe de Zélie dans le cagibi d'Inge et Hilde.

Finalement, Rivière ne me fait pas la tête. Il n'avait peut-être simplement pas envie de me parler avec Bougival qui faisait des blagues juste à côté de lui. Ou bien peut-être qu'il me fait la tête, mais la robe de Zélie pue tellement chez lui qu'il souhaite me la restituer au plus tôt. Oui, ça doit plutôt être ça.

Je marche dans Limoges pour passer l'après midi. Je passe un certain temps assise sur un banc à regarder autour de moi. Les gens. Les familles. Des types en jogging qui ont peut-être eux aussi passé du temps au commissariat. Je mets plus d'une heure à me rendre chez Rivière à l'autre bout de la ville.

Je suis stupéfaite en arrivant à l'adresse qu'il m'a donnée. Je m'attendais à entrer dans un immeuble moche des années soixante dix recouvert de mosaïque. À la place, je me retrouve à devoir pénétrer dans un jardin et sonner à la porte d'une charmante petite meulière. Je comprends qu'il ne soit pas amateur des hôtels Formule 1.

Une lumière s'allume près de la porte d'entrée, éclairant le petit pallier sur lequel je me tiens, dans la pénombre de la nuit tombante. Sur le trottoir bordant la petite maison, j'aperçois la 4L vert d'eau. Ça me fait battre le cœur, c'est complètement idiot.

Antoine m'ouvre, tenue décontractée, le cheveu un peu défait, comme s'il s'était endormi sur son canapé puis réveillé en sursaut. Je ne sais pas pourquoi, je m'étais imaginé qu'il me remettrait mon encombrant paquet... vêtu de son fameux manteau de laine. Il toise mon hématome avec circonspection.

— Ça te fait un bon style.

Je rigole. Ça me fait mal.

— Tu veux entrer te réchauffer ? me propose-t-il.

J'accepte. J'ai froid jusqu'aux os, après cet après-midi de marche.

L'intérieur est tout petit. Décoré sobrement, mais pas de mauvais goût. Aucune cuisine rustique à l'horizon. Déposés au pied d'un escalier, dans l'entrée qui dessert d'un côté un salon étriqué et de l'autre une cuisine trop large, je vois ma valise et la housse contenant la robe de Zélie.

— Tu veux un verre d'eau ?

— Volontiers. Je suis venue à pieds.

— D'où ?

— Un peu plus loin que la gare.

Il me donne un verre en me regardant avec admiration. Tout le monde a donc une voiture, ici ?

Je me réchauffe peu à peu. Nous prenons place dans son tout petit salon ne comportant qu'un canapé, une télé, une bibliothèque et une cheminée. Pas de table basse. À la place, une pile de livres sur laquelle trône un verre de vin. Il me débarrasse de mon eau et la pose sur l'accoudoir de la méridienne. Puis, il commence à enlever mon gros gilet, et le dépose à côté du verre.

Sans dire un mot, il passe sa main sur mon coquard, tout doucement, pour que je n'aie pas mal. Il l'embrasse, comme si j'étais une enfant à qui on fait croire que tout va guérir plus vite avec un baiser. Mais je ne dis rien, parce que c'est agréable. Et que je n'arrête pas d'y penser moi aussi.

Il met ses mains dans mon cou, et dans mes cheveux, et m'embrasse sur les lèvres, parce qu'il sait que ce n'est plus la peine de me demander la permission.

Mille frissons me parcourent la nuque, les épaules et le bas du dos.

Il fait chaud. Il sent bon. Ah oui, c'est vraiment bon.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant