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Je claque des doigts en exigeant à Ambroise :

— la version numérique ! Je suis certaine que vous l'avez conservée dans votre téléphone. Il faut que je la voie. Ça n'a pas de sens.

Je vois son visage qui se ferme, comme lorsque j'ai tenté de lui prendre son carnet un peu plus tôt. Je soupire. De fatigue. Que tout soit une lutte est épuisant, même de bon matin. Surtout avec une telle odeur dans les narines.

— Envoyez-la moi par mail si ça vous rassure. Comme ça je ne toucherai pas à votre précieux.

Je vois qu'il ne comprend pas la référence. Pendant que le monde entier se ruait dans les salles de cinéma et sur les œuvres de Tolkien, Ambroise Monteiro devait mettre en œuvre le vol de la Joconde, ou que sais-je.

— Je suis persuadée que vous connaissez déjà mon e-mail, Monsieur je sais tout. Et que vous en avez un factice, tout prêt d'utilisation pour... je ne sais quel usage illégal. Ça ne me regarde pas.

Il concède à m'envoyer le cliché en silence. Ses lèvres sont pincées comme si je lui proposais une ablation de la rate.

Dans ce patelin paumé de la France, je mets plusieurs minutes à afficher la robe sur mon écran. Faut-il vraiment que je sois prête à toutes les concessions pour ne pas lui arracher son écran géant des mains. Ou à tenir à la vie, j'hésite.

La version numérique me confirme qu'on ne voit rien ressemblant de près ou de loin à des perles nacrées dans l'œil de la licorne. Cependant, à force de zoomer, je me rends compte d'une chose. On ne voit pas non plus le dessin de l'œil. Papillon est un horrible photographe, bien qu'il ait du disposer d'un appareil honorable. Il a donc éclairé sa scène au flash. Cependant, même la larme que j'ai trouvée encore cousue sur la tapisserie dans le grenier de mamie ne se voit pas. Elle devrait pourtant réfléchir la lumière blanche du spot.

Je zoome encore. La zone est noire, mais pas dénuée de matière. J'ignore pourquoi. Peut-être un objet a-t-il empêché toute réflexion ou est tombé sur la robe. Mais les perles sont bel et bien là. Partout où le motif de la tapisserie est caché, il y a des perles. J'en mettrais ma main à couper.

J'expose ma découverte à Ambroise.

— Que cela se vérifie ou non, qu'est-ce que cela change à notre affaire ?

— Ça change tout, Ambroise ! dis-je en m'approchant de lui, sans réussir à masquer l'excitation dans ma voix. L'énigme de Zélie ne parle pas des yeux, mais des « regards brillants » de ses créatures chéries. La licorne de Zélie était borgne ! Son regard ne se voyait qu'à travers un seul œil ! Celui là !

Je pointe l'œil valide de la licorne.

— Nous avons nos cinq points ! Le sixième était une erreur que nous avons nous-même créée ! En reliant les cinq yeux, nous aurons enfin l'emplacement de la ville où Zélie a caché ses diamants !

Au fur et à mesure de mes explications, le regard d'Ambroise Monteiro s'anime d'une énergie vorace que je ne lui aurait pas soupçonnée. Il m'attrape soudainement par le poignet et m'emmène dans son sillage lorsqu'il se précipite dans le hall, puis dans l'escalier pour rejoindre sa chambre, laissant la porte du cagibi grande ouverte.

En entrant dans ses appartements, il s'agenouille près de son immense carte. Il pose un nouveau calque géant sur le craft et trace de nouvelles lignes entre les cinq yeux du chien, du singe et de la licorne borgne. Ou qui fait un clin d'œil, ça ne m'étonnerait pas de cette Zélie facétieuse qui devait vraiment avoir une case en moins pour manigancer tout ça, quand j'y pense.

— Ça colle ! exulte Monteiro.

Je me penche sur la carte. Un seul point désigné par une perle subsiste à l'intérieur de la zone commune aux trois autres, réalisées en reliant les pattes, les yeux valides et les fleurs rouges. J'ai du mal à y croire. Nous y sommes.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant