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Mes mains tremblent un peu. Je les serre l'une contre l'autre pour ne pas laisser transparaitre l'angoisse qui m'habite depuis que le galant chasseur de trésor a laissé sortir Mister Hide de sa cachette. J'ai envie de continuer à reconstituer les faits, mais je n'arrive plus ni à parler, ni à me concentrer. Je réussis juste à faire tourner en boucle dans mon esprit les éléments qui méritent d'être notés pour ne rien oublier. il commence à y en avoir trop. J'ai peur de les laisser s'échapper par ma bouche et que Monteiro se rende compte de ce que je suis en train de faire.

Je me remémore ce moment, dans le grenier de mamie, avant que Julie ne vienne m'y rejoindre. Ce moment où j'ai vu la larme de perle. La robe était lourde, et j'avais du mal à me concentrer à cause de son odeur. Je ferme les yeux pour me souvenir mieux. J'avais une perle dans la main, ramassée par terre, et j'ai simplement tiré sur l'autre. Elle est venue parce que les fils avaient déjà été coupés par mamie. Un doute s'empare de moi.

— Comment Papillon a-t-il décousu les perles de la robe, en pleine nuit dans un sous bois humide ? je demande à Monteiro, qui fulmine encore.

— Je n'en sais rien ! s'emporte-t-il. Quelle importance ?

Sans dire un mot, je sors de la chambre et m'engage dans le grand escalier de la demeure qui mène au rez de chaussée. Je croise Inge, la salue, et en profite pour lui demander l'autorisation d'aller dans son cagibi. Elle me répond à l'affirmative avec un accent néerlandais à couper au couteau. Ambroise déboule à son tour des étages et salue son hôte. Obligé d'entrer à nouveau dans son personnage gentleman de José Coleman, il efface toute trace de colère de son visage. Mais je ne sais pas si la transformation est complète, ou s'il ne va pas m'assommer à nouveau et m'enfermer dans le cagibi avec la robe d'une morte.

Sans l'attendre, je me précipite vers le placard et déballe la robe de Zélie de sa housse, sans me préoccuper des réactions d'Inge et Hilde. C'est le cadet de mes soucis. Monteiro, en revanche, couvre ses arrière, invente un bobard au débotté avec une maestria bien plus habile et aboutie que ce dont je peux faire preuve pour mes propres mensonges. Il allume la lumière dans la minuscule pièce et nous enferme avec la robe.

— Que faites-vous ? Vous allez inquiéter nos logeuses, maugrée-t-il. Si vous pensez que l'arrivée de la police chez elles les a laissées indifférentes, vous vous trompez. Au moindre fait étrange, elles les rappellerons.

— Je ne fais rien d'étrange, Ambroise. Je viens regarder un objet qui m'appartient et qu'elles savent être rangé là. Calmez-vous.

Je l'entends respirer dans mon dos. Il s'est tu mais n'est clairement pas serein. Si j'avais su que je parviendrais à mettre même un criminel international à bout de nerfs... Ça explique peut-être le comportement de mes parents à mon sujet. Mais je m'égare.

Je colle le nez à la tapisserie dans un dégout absolu, tant les particules de poussière puent la mort. À proprement parler. J'aurais du emmener une loupe. Mais qui voyage avec une loupe, franchement ? Peut-être Ambroise, après tout. Ça doit faire partie du package craft, calque, crayons, jumelles. Mais j'y suis, alors autant m'en passer.

— Que faites-vous, enfin ? me répète Monteiro.

— Taisez-vous. J'aspire cette puanteur quand je parle. Alors je vous dirai ça après.

Je l'entends se caler contre la porte en bois et taper du pied.

Moi, je me concentre avec la faible luminosité. J'essaie de retrouver les fils qui maintenaient les perles sur la robe. Comment Papillon les a-t-il décousues ? Il nous manque quelque chose. Autour de la larme de la licorne, il restait quelques bribes découpées par mamie. Mais pas suffisamment pour coudre le nombre de perles qu'elle a du vendre pour obtenir la somme qu'elle nous a léguée. Où les a-t-elle trouvées ? C'est peut-être ça qui nous manque.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant