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— On s'est fait agresser, répond Julie. C'est moi qui ai appelé.

— Que s'est-il passé ? me demande Sonny.

— Elle ne peut plus parler, lui répond Julie à ma place. Ce type a essayé de l'étrangler ! Je suis remontée chez moi chercher une arme pour l'aider à se défendre.

— Vous vous rendez compte que vous vous êtes rendue coupable d'agression physique aggravée ? lui demande Riccardo suite à ce résumé un peu trop... résumé.

Julie s'offusque et sa voix monte dans les aigües.

— J'aurais du faire quoi ? Lui sauter dessus à mains nues, n'arriver à rien, me faire étrangler aussi et le laisser s'enfuir en nous abandonnant mortes sur le pavé ?

— Calmez-vous Mademoiselle, tente Riccardo.

— Vous déconnez ?

Sur ce, la porte cochère s'ouvre à nouveau et laisse apparaître quatre superbes pompiers. Oui, superbes. Même en train de mourir, je ne pourrai jamais me passer d'admirer un pompier. Quel entrainement suivent-ils ? Je veux savoir. J'en veux un. J'ai sûrement droit à un lot de consolation après avoir vécu une aventure aussi traumatisante, non ?

Tout le monde s'est arrêté de parler. Visiblement, Julie est tout absorbée par sa contemplation, et Sonny et Riccardo, blasés, se retiennent clairement d'éclater de rire.

Julie leur fait signe d'approcher et leur explique la situation. Deux d'entre eux viennent m'examiner avec beaucoup de gentillesse. Les deux autres se penchent sur Monteiro. Le duo de brigadiers semblent enfin percuter que je ne joue pas la comédie. D'ailleurs, je note qu'ils se relâchent. L'un d'eux a sorti son téléphone portable et consulte sa boite mail.

Je m'agite en espérant alerter quelqu'un.

— Calmez-vous Mademoiselle, me demande l'un des pompiers de Paris.

Je lui lance un regard haineux. Ils croient vraiment tous que je vais me calmer, en me répétant de me calmer ? Seule Julie semble comprendre qu'il se passe quelque chose d'important. J'oblige mon pompier a arrêter ce qu'il est en train de faire —à savoir prendre ma tension— pour sortir mon téléphone de ma poche. L'écran est complètement brisé, en mode impact de balle. Il a du se casser au contact des pavés lorsque Monteiro m'a poussée au sol. Julie, qui suit la scène avec attention, s'empresse de me donner le sien. J'essaie de taper le plus vite possible mon message, mais entre ma tête qui tourne, ma vue brouillée et le correcteur orthographique, ça prend un temps fou. Et chaque minute qui passe permet à Monteiro de sortir de son comas.

Je passe le téléphone de Julie à Riccardo, qui lit à voix haute :

— « Cet homme est Ambroise Monteiro, criminel international. il a essayé de me tuer. Ne pas le laisser partir. Je suis Angèle Kashinsky.  ».

Je le vois adresser un regard amusé à son collègue. Les pompiers, eux, réagissent avec plus de sérieux.

— Attendez, criminel ou pas, nous sommes obligés de le soigner et de l'emmener à l'hôpital. Messieurs, demande l'un des pompiers aux deux flics à Miami, quelle est la procédure à suivre ? Doit-on être accompagnés par un membre de la police ?

— Non, répond Sonny. Nous n'avons aucune preuve de l'identité de cette personne. Nous ne pouvons pas l'inquiéter sans faits ni preuves. Et donc mobiliser les forces de l'ordre pour vous accompagner.

Le second pompier, plus entreprenant, fouille la veste de Monteiro. Il y trouve son portefeuille et l'ouvre. Sonny et Riccardo ne réagissent pas. On dirait qu'il est autorisé de vérifier l'identité d'un malade sans connaissance. Ce qui me parait logique, en fait, sinon il serait difficile de faire venir ses proches à son chevet.

— Il s'agit de José Coleman, annonce pompier numéro deux.

Je m'agite encore plus.

— Mademoiselle, m'arrête Sonny. Nous ne pouvons pas agir sur vos simples indications. Nous ignorons qui est cet homme, et s'il existe réellement un criminel recherché au nom d'Ambroise Monteiro, ou de José Coleman.

Je ne sais pas d'où je sors cette force, mais je me dégage de mon pompier personnel qui tente depuis tout à l'heure de prendre ma tension, et me traîne jusqu'à Riccardo. Je l'attrape au col. Sonny m'appréhende avec une clé de bras. Ça m'arrache un cri de douleur dont je ne me croyais pas capable, qui m'arrache encore plus les muscles déjà meurtris de ma gorge. La douleur irradie dans tout mon corps. J'ai vraiment du mal à mettre de l'ordre dans mes idées dans cet état là. Je tente de reprendre mon souffle et le contrôle de moi-même pendant que j'entends les autres s'agiter autour de moi.

Le pompier en chef, très professionnel pousse un « hola ! » sonore, plaçant ses mains en avant dans une volonté d'apaisement. Il est très doué. Tout le monde se calme. Sauf Riccardo qui ne me lâche pas, pendant que Monteiro, lui, peut fuir à son aise. Mon pompier personnel vient me récupérer en insultant Sonny-le-sanguin. Il opte finalement pour une solution qui doit paraitre simple seulement à un pompier : me porter dans ses bras. Je ne suis même pas en état d'en profiter. Il me dépose sur une des deux civières que les autres ont dépliée.

— Arrêtez de vous agiter, Mademoiselle.

J'entends le bruit d'un talkie dans mon dos. La voix de Sonny résonne dans le hall.

— Ici brigadier Chouchouian à poste du dixième. Souhaite renseignements sur Madame Angèle Kashinsky. Urgent. Merci.

Le mufle. Il met ma parole en doute. Pourquoi c'est forcément moi qui mentirait ? Parce que j'ai l'air complètement folle à lier ? N'est-ce pas moi qui ai probablement des traces d'étranglement autour du cou ? Et un cocard ? On en fait quoi de mon cocard ?

— Vous êtes sûrs de ne pas vouloir sécuriser le suspect ? demande le pompier en chef.

Riccardo le gratifie d'un geste méprisant pour lui signifier de s'occuper de ses affaires. Il part inspecter la cour avec son collègue. Je suis abasourdie. On est à l'opposé de l'excès de moyens déployé à Moutier d'Ahun pour nous appréhender, Monteiro et moi. Il se passe quoi, là, au juste ?

C'est ce moment là que choisi mon agresseur pour revenir à la vie.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant