Le sang me monte à la tête. Il n'était pas obligé d'être si sarcastique. Je suis déjà suffisamment pitoyable. Et pathétique, avec toute cette boue. Je sens ma peau qui chauffe et la colère monter.
— Je voulais le coincer, c'est vrai ! J'ai récupéré des indices.
Rivière semble au bout de sa patience.
— Des indices ? hurle-t-il.
Je vois une dizaine de policiers derrière la vitre lever la tête comme des suricates pour réussir à voir ce qui se passe. À part un lieutenant de police qui s'arrache les cheveux et une rouquine couverte de boue, il ne doit pas y avoir grand chose d'intéressant à épier.
— Des indices ? reprend Antoine. À propos de quoi, bon dieu ? Tu ne sais même pas sur quoi nous travaillons !
— Je voulais savoir s'il avait profané la tombe de Zélie. Et... tout le reste. Les diamants, le comment du pourquoi. Et j'ai eu tout ce que je voulais !
Antoine s'arrête de gesticuler net. Il me regarde comme si j'avais perdu la tête.
— Comment ça tu as eu tout ce que tu voulais ?
— Il m'a tout raconté, j'ai tout noté dans mon téléphone. Et ses habitudes aussi.
— Tout raconté quoi ?
Le voilà qui qui prend la chaise bien rangée derrière le bureau pour la poser juste devant moi et s'asseoir dessus... comme un cow boy. Je me demande où il a attrapé ces mauvaises manières.
— Comment il a découvert l'existence de Zélie, comment il s'est organisé, comment il a récupéré la robe, les perles tout !
— Rien sur d'autres affaires ?
— Tu savais qu'il avait abusé de la naïveté de ma grand-mère ?
Son regard s'éteint. La vertu de ma grand-mère ne l'intéresse pas du tout.
— Tu as juste noté des choses dans ton téléphone ? Ça peut nous servir, mais ce ne sont pas des preuves. D'autant plus que l'affaire Zélie Kashinsky est classée depuis des semaines.
— Peut-être, mais j'ai ça.
Je plonge la main dans mon pantalon. Rivière me regarde d'un air effaré. De l'autre côté des murs vitrés, certains me fixent d'un œil médusé pendant que d'autres s'esclaffent sans retenue. Oui, oui, je suis un bouffon, tout ça est très drôle.
Je sors le calepin de Monteiro de ma culotte. Avec un peu de chance, Antoine va croire que j'ai une poche intérieure, ou quelque chose dans ce goût là.
Sans un mot, il sort du bureau, sans même tenter de regarder le contenu du carnet. Je suis outrée. Je me lève et me lance à sa poursuite. Je passe la tête par la porte et pousse un grand « Hey ! » dans l'open space pour attirer son attention. La totalité des fonctionnaires présents se tournent vers moi et me dévisagent comme si j'étais folle à lier. J'ai une impression de déjà-vu. C'est peut-être mon destin, de ne pas être prise au sérieux par les forces de l'ordre ? J'espère sincèrement qu'il ne m'arrivera rien de plus grave dans la vie.
Un agent se dirige vers moi, main tendue en avant.
— Mademoiselle, s'il vous plait, restez là. Nous ne vous autorisons pas à sortir pour l'instant.
— Comment ça ?
— Vous devez d'abord débriefer la police de Limoges qui est en charge de l'affaire. Une équipe est en route pour venir vous chercher.
Tout ceci n'est qu'une vaste farce. Un open space entier est ostentatoirement libre pour prendre ma déposition. Je me demande bien pourquoi j'attends.
Au loin, je vois Rivière s'affairer auprès d'un brigadier et récupérer un objet avant de revenir.
Je retourne m'asseoir sur mon siège. Lorsque Rivière entre à nouveau dans la pièce, le regard malicieux que lui lance l'agent chargé de me garder à l'intérieur ne m'échappe pas. Ils doivent tous être ravis que ce soit le lieutenant, et pas eux, qui m'interroge. Même si en réalité il ne m'interroge pas. Pour l'instant. Puisque apparemment je vais y avoir droit. Tout ça pour avoir palpé un chien en bois et m'être roulée dans la boue sous un pont. Et m'être acoquinée avec un criminel, aussi.
Je note qu'en fait, Antoine est allé prendre une paire de gants en latex. Il les enfile soigneusement avant de se saisir du carnet de Monteiro que je tiens toujours dans la main.
C'est dans un silence absolu qu'il feuillète, lentement et avec beaucoup d'attention, le petit cahier noir. L'intérieur n'est pas trop endommagé par la saleté.
Toujours sans un mot, il en photographie quelques pages avec le sacro-saint smartphone dernière génération —je me demande s'il a conservé les clichés du squelette de Zélie dans mon jardin— et les envoie par e-mail. Enfin, il glisse le Moleskine dans un sachet en plastique et le pose sur un bureau.
Il se rassied enfin et relève la tête vers moi avec un regard adouci.
— Tu te rends compte des risques que tu as pris ? Mais qu'est-ce qui t'est passé par la tête ?
— Je suis désolée.
— Angèle....
À ce moment là, je ne sais pas pourquoi, tout se relâche en moi. Je fonds en larmes comme une Madeleine. Pas le petit chagrin mignon qui donne envie aux autres de vous consoler. Non, les larmes de crocodiles et les sanglots bien bruyants de celle qui est à bout de force. Je n'arrive plus à dire quoi que ce soit. Je pleure, et je pleure encore, recroquevillée sur ma chaise en plastique moche du commissariat, sous les yeux de Rivière, totalement pris au dépourvu.
Antoine pose sa main sur mon épaule. Je suis si transie de froid que je ne la sens même pas.
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La Licorne était borgne
Mystery / ThrillerAprès la découverte d'un squelette dans le jardin de sa grand-mère, Angèle se lance à la poursuite du mystère qui hante sa famille, sur la piste de perles précieuses, d'une veuve noire et d'une licorne biscornue. Cette histoire est terminée. Une sui...