Nous filons à vive allure dans la Chevrolet d'Ambroise Monteiro à travers les paysages de forêts enneigées de Creuse. Zélie a choisi un lieu bien éloigné de son domaine pour y cacher ses diamants.
Nous arrivons à Moutier d'Ahun dans un brouillard à couper au couteau. On ne distingue rien à plus de trois mètres. On ne voit même pas le haut du clocher de l'église romane, pourtant pas bien haute. Ambroise gare la voiture sur le parking qui la jouxte.
Je me plante face à l'immense grille du cloître, raccroché à un mur d'enceinte qui tombe en ruine. Dans la brume, il dégage une poésie à couper le souffle.
Je respire l'atmosphère chargée d'une odeur de terre et de pluie. L'odeur de l'hiver, du froid, de la neige. Je laisse mes joues geler un peu en contemplant cette bâtisse, comme a du le faire Zélie avant moi. Je ressens une sensation de fin, et une sorte de tristesse. Je crois que je ne désire pas ces diamants. Je ne désire pas non plus être en compagnie d'Ambroise. Je pense au lieutenant Rivière. C'est très étrange de me souvenir maintenant de notre baiser, et ça me réchauffe un peu.
Je n'ai pas envie qu'Ambroise se mette à parler et à me ramener à la réalité. J'aimerais être la brume. Me fondre dans le décor, comme Zélie qui a créé le sien et a dispersé son souvenir dans les terres qu'elle connaissait bien.
Ma tête se vide. Je me rends compte, alors que nous allons atteindre notre but, que je ne veux pas non plus trouver des indices, confondre Monteiro, aider Rivière ni trouver un héritage perdu. Je veux aider Zélie, et je pense à Colette aussi.
Le froid me ramène dans le jardin du Manoir des Heures Claires, le premier jour. À peine un mois après le décès de mamie. Le jour où j'ai découvert le squelette. J'ai l'impression que c'était il y a un an, alors que que quelques semaines seulement ce sont écoulées depuis.
Je veux rentrer chez moi.
Je ne sais plus où est chez moi. J'ai oublié. Y a-t-il un endroit où je me sens vraiment bien ?
Je sens la main d'Ambroise se poser sur mon épaule. Je sursaute à son contact. Un instant, j'ai réussi à croire que j'étais la brume.
— Il y a une boutique d'artisanat à deux pas, chuchote-t-il en brisant définitivement le charme. Allons nous renseigner.
Je le suis comme un mort vivant.
Nous entrons dans une vieille maison en pierres apparentes dont le rez de chaussée a été réaménagé en boutique d'artisanat local de toutes sortes. Ça va du pâté de campagne fait maison au macramé multicolore. La chaleur me prend au visage et m'arrache définitivement à l'impression que je pouvais échapper au sac de nœud dans lequel je me suis moi-même fourrée, et avec conviction qui plus est.
— Bonjour Madame, s'enquiert Monteiro qui a de nouveau revêtu son apparence de gentleman en vacances.
— Bonjour Monsieur. Puis-je vous renseigner ?
— Je vous remercie. Vous avez de bien belles choses.
Cette facilité avec laquelle il sort de tels mensonges est impressionnante. Tout ici, même l'étiquette du pâté de lièvre, est hideux. La vendeuse se lance dans son discours vendeur sur les artisans locaux qui se vouent à leur art les soirs et week-ends. Ambroise la coupe avec élégance.
— Des amis m'ont conseillé de visiter Moutier d'Ahun. Nous n'avons malheureusement pas bien choisi notre jour, avec ce brouillard.
Elle s'emballe dans un rire cristallin qui trahit son penchant pour ce faux séducteur à la noix. Un peu comme moi, je me rends compte piteusement, la première fois que je l'ai croisé à la Maison Pinton.
— Je suppose que notre petite balade sera limitée. Mais ils m'ont parlé d'un chien qu'il fallait absolument voir.
— Un chien ?
— Oui, je ne me souviens pas très bien, une sculpture, ou un tableau, peut-être ?
— Il n'y a pas grand chose à voir, ici. Mais allez chercher du côté de l'église. Vous y trouverez peut-être bien un chien.
— Elle a l'air si petite.
La vendeuse s'étonne et lui répond, d'un air moqueur :
_ Vous êtes venus sans avoir entendu parler des reliefs en bois ? Vous trouverez votre chien, et aussi d'autres choses. L'église est réputée pour ses boiseries. Allez-y donc, c'est gratuit.
— Vous êtes sûre qu'ailleurs...
Elle éclate de rire.
— Oui, je suis sûre !
Nous sortons de là pour nous diriger vers l'église, encore ouverte au public. Ambroise ne se laisse pas démonter par la condescendance de la vendeuse, mais, sur le moment, j'ai senti de la vexation dans l'air. Il a du mal à s'en départir.
— Voyons voir ça, grogne-t-il.
À l'entrée du lieu de prière, on nous demande tout de même un euro symbolique, pour l'entretien des boiseries. Deux pas plus loin, un spectacle étonnant s'offre à nous : L'église ne se sépare pas en quatre parties articulées autour d'une nef, mais est constituée d'un seul bloc, petit, et entièrement recouvert de stalles en bois sculpté extraordinairement décorées dans un style gothique, ce que l'extérieur, d'une sobriété ascétique, ne laissait pas présager. Les boiseries partent du sol jusqu'au plafond et le moindre pilier séparant deux sièges comporte à lui seul de nombreux motifs et mascarons, si ce n'est des chimères entières.
Partout autour de la salle, du sol jusqu'au plafond, bestiaire fantastique ou réaliste, hommes, gnomes, démons, flèches de cathédrales s'affichent comme de la dentelle. Il y a tant de figures sculptées que cela nous prendra sans doute des heures pour trouver ce chien qui bave mais ne mord pas. Zélie avait décidément un goût pour ce genre de choses. Certains animaux sont si petits qu'il faut avoir le nez quasiment collé à la structure pour les voir. Nous sommes presque dans le noir, en cette saison, le lieu n'étant éclairé que par un unique vitrail, face à l'entrée, et quelques candélabres trop rares pour vraiment illuminer quoi que ce soit.
Ambroise s'engage sur les pavés centenaires en conquérant. Droit devant nous, deux chiens frisés s'enlacent sur une stèle. Je lance à mon partenaire un regard évocateur.
— Des lions, abat-il comme un couperet qui résonne sous les vitraux. Prenez la gauche, je m'attaque à la droite, m'ordonne-t-il. Le chien bave mais ne mord pas. Espérons que cela nous suffise à le reconnaître.
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La Licorne était borgne
Mystery / ThrillerAprès la découverte d'un squelette dans le jardin de sa grand-mère, Angèle se lance à la poursuite du mystère qui hante sa famille, sur la piste de perles précieuses, d'une veuve noire et d'une licorne biscornue. Cette histoire est terminée. Une sui...