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Je me fige un instant. Ok. Soit.

Reprenons depuis le début. Un futur taulard prafane le tombeau Kashinsky pour récupérer le corps de Zélie. Il passe ledit corps par dessus le mur d'enceinte pour...

— Dites-moi, Ambroise, pourquoi ne pas avoir dépouillé le corps de Zélie directement au cimetière ? Je croyais que vous aimiez bien Colette. C'est un manque de respect complet pour elle que d'avoir fait ça sur son terrain, vous ne pensez pas ? Sans parler de l'aspect pratique.

— J'aurais préféré. Mais d'après les dires de mon collaborateur, la lumière générée pour l'opération aurait été visible de la ville, à cause de la grande grille d'entrée qui ne cache pas l'intérieur du cimetière. Sans tout cela, j'aurais eu la paix. Croyez bien que je le regrette.

Je note la distance qu'il met entre lui et la profanation en employant le terme "opération". Je soupire en pensant que son regret ne va pas à la pauvre Zélie dérangée dans sa dernière demeurre.

Donc Papillon le prisonnier balance le corps de la pauvre Zélie par dessus le mur d'enceinte et le fait tomber dans le chemin qui borde le sous bois. À la vue des perles, il...

— Comment saviez-vous que Zélie portait cette robe dans sa tombe ?

Il ne sourit plus et croise les bras.

— Que faites-vous, Angèle ? Vous m'aidez ou vous me faites subir un interrogatoire ? Vous êtes là, interdite, et ne faites que revenir sur ce que nous savons déjà.

— Ce que vous savez déjà. Vous m'avez embarquée là dedans pour la robe, mais je ne connais rien de votre histoire. Je m'échine à reconstituer les événements pas à pas pour me remémorer ce que j'ai pu oublier, alors soyez coopératif, vous voulez bien ?

Il se renfrogne un peu, l'œil maussade.

— Alors ? j'insiste. Comment saviez-vous pour la robe ?

— Suite au récit de votre grand-mère, bougonne-t-il, j'ai mené mon enquête sur la veuve noire et son fils Edouard. J'ai retrouvé dans les archives de Limoges le journal stipulant son décès. Les nécrologies sont toujours très intéressantes. Sans même savoir qu'il passait à côté d'un élément décisif qui le mènerait à son héritage, Edouard Kashinsky a rédigé ceci pour annoncer le décès de sa mère « Zélie Kashinsky a été mise en terre avec ses créatures chéries et ses perles précieuses ». Les termes employés par Madame Kashinsky dans son énigme devaient être très clairs pour Edouard. Il avait lui même désigné la robe de tapisserie comme représentant les « créatures chéries » de sa mère. Il a fait deux erreurs : n'avoir jamais découvert l'énigme dans les livres, et avoir enterré sa mère avec son principal atout, la robe. Ces détails ne m'ont pas échappé, pour ma part. À partir de ce moment là, j'ai été persuadé que la veuve noire avait été mise en terre avec un élément déterminant pour la découverte des diamants. J'ignorais qu'il s'agissait d'une robe.

— Papillon a pris la décision d'enlever les perles seul ?

— Papillon ?

— Votre prisonnier !

— Mon... Ah ! Mon collaborateur ? Non, il m'a appelé, je lui ai dit de faire au mieux. Malheureusement, il a pris la robe en photo dans la précipitation, après avoir décousu les perles. Il a entendu quelqu'un se garer dans la cour du manoir et a pris peur. Il a caché le squelette et abandonné la robe, trop lourde, dont il ignorait l'utilité.

— Elle était pourtant délestée de ses perles.

— Vous l'avez transportée plus d'une fois. Entre le choix de la tapisserie et le modèle à vertugadins, vous savez très bien qu'elle est un poids mort. À quoi tout cela vous avance-t-il ?

— J'ai besoin de retracer le chemin de la robe. À partir de ce moment là, toutes les perles ont été décousues, sauf...

Ambroise soulève un sourcil. Je me rends compte à cet instant que je n'ai jamais parlé des perles que mamie a récupérées elle-même et revendues. J'avais réussi jusque là à éloigner ma famille de tout ça. Je ne veux pas que d'autres soient mêlés à cette histoire sordide.

— Sauf ? Il en restait ? s'enquiert-il avec une curiosité non dissimulée.

— J'ai trouvé deux perles dans la robe, je me précipite, me souvenant soudainement de ce détail. L'une d'elle tenait à peine par un fil, sous l'œil droit de la licorne. On aurait dit... une larme.

— La perle était-elle blanche comme les autres ?

— Oui.

— Plus grosse alors ?

— Je ne sais pas, je n'ai pas vu les autres.

Il me montre une taille de perles en créant un espace entre son pouce et son index.

— Oui, elle devait être à peu près comme ça.

Monteiro sort soudain de ses gonds et donne un coup de pied dans ses cartes, son papier calque et ses crayons. Tout voltige dans la pièce dans un bruit de papier froissé.

— Comme les autres ! crie-t-il. Est-ce donc tout ce que vous avez trouvé sur cette robe ?

— Ne vous emport....

— Répondez ! hurle-t-il.

Là, tout de suite, Sean Connery a clairement disparu. Je ne vois plus que ce type avide et écumant de rage car il n'obtient pas ce qu'il veut. Je me force à respirer lentement pour ne pas me liquéfier de peur sur place. Mon sentiment de sécurité vient de voler en éclats.

La Licorne était borgneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant