1.4 : Fuite

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Adossé à un mur, assis à même le sol, Nicolas pressait sa tête entre ses mains. Il existait sans doute de meilleurs moyens de venir à bout des violentes pulsions qui le tourmentaient mais pour l'heure, il s'agissait du seul à sa portée. L'incursion de Clara dans cette part secrète de sa vie l'avait dévasté. Ce chapitre de son histoire, il avait compté l'enterrer sans jamais le divulguer. Il avait commis un acte impardonnable, irrémédiable. Incapable de le comprendre, Clara s'était moquée de ses mises en garde. Elle avait fouiné jusqu'à découvrir l'horreur de son passé... Son indélicatesse, sa conduite inadmissible l'avaient rendu fou de rage.

Incontrôlable.

Ce cou si fragile, à portée de main... il l'avait tenté. Sitôt qu'il avait perçu sa présence, son parfum lui était parvenu plus clairement que jamais. Il avait même entendu son pouls affolé, distingué ses pupilles dilatées par la peur et l'incertitude. Plus que jamais, sa supériorité lui était apparue, accompagné du pressant besoin de l'asseoir. Son instinct de Fossoyeur l'avait poussé à lui faire payer son effronterie, à lui faire regretter sa curiosité. Jusqu'alors, il était parvenu à le mettre en échec. Pas cette fois. La conduite de Clara avait ruiné le peu de forces qui lui restait. Il avait succombé à l'irrépressible besoin de blesser, de faire mal, de détruire...

De tuer.

— Ça suffit ! cria-t-il.

Seul l'écho de sa voix lui répondit.

Depuis qu'il avait failli commettre l'irréparable, ces pensées dangereuses l'assaillaient sans répit. Son geste avait ouvert une brèche dans laquelle toutes ses plus terribles pulsions s'étaient engouffrées, amassées, et comme sous le coup de l'émulation, amplifiées. Par moments, elles exerçaient une telle pression qu'il en perdait le sens des réalités. Cela ne devait pas durer. Il refusait d'en devenir l'esclave, de n'être plus... qu'une bête sauvage dénuée de toute retenue.

Avant toute chose, il lui fallait se calmer. Ressasser les derniers évènements alimentait le feu néfaste qui le consumait de l'intérieur.

Lorsqu'il s'était éveillé comme Fossoyeur, il n'avait pas vu de différence. Sa pseudo résurrection avait même embrouillé ses souvenirs et occulté le moment où Clara l'avait poignardé. Non qu'il les avait perdus ; il les avait relégués à l'arrière-plan de sa conscience, comme un bagage devenu inutile et dépourvu du moindre intérêt.

Il pouvait presque encore sentir la lame qui franchissait sa chair, se glissait entre ses côtes, perforait ses artères. Pourquoi n'avait-il pas pu rester en paix ? Pourquoi Jérôme l'avait-il arraché à ce repos prétendument éternel ?

Il eut un hoquet de rire sans joie. L'ironie de la situation l'accablait. Lui qui avait tant souhaité abréger ses souffrances n'avait même pas réussi à rester... mort.

Il frotta son visage contracté.

Ce n'est qu'après un jour ou deux que la voix de Jérôme s'était imposée à lui. D'abord douce et séductrice, elle l'avait guidé dans la foule, le jour où il avait retrouvé Clara. Très vite, elle avait revêtu ses véritables traits : sinistre et manipulatrice. Jérôme l'avait menacé, avait joué avec lui, avec ses nerfs. À sa disparition, Nicolas avait enfin profité d'un répit bien mérité. Il avait cru reprendre enfin le contrôle de ses pensées, pouvoir redevenir celui qu'il était, revivre comme avant... mais sa personnalité avait changé. Ces insidieuses pulsions avaient pris une ampleur qu'il n'avait pas soupçonnée. Avec le recul, il les trouvait pires que la voix du soi-disant Maître Fossoyeur. Pour elles, il ne semblait exister aucun moyen à sa portée en mesure de les faire taire. Pis ; leur pouvoir sur lui s'accentuait au fil du temps.

Elles s'immisçaient dans ses pensées, à des moments où il ne s'y attendait pas. Elles devenaient ses pensées. Là résidait le danger.

Par leur faute, il s'était retrouvé la veille au soir dans le quartier de l'Usine, à guetter des trafiquants du coin de l'œil, la dague en main, prêt à planter le premier qui arriverait à sa portée. Aux premières lueurs de l'aube, il avait pris conscience de ce qui se passait, mais ne se rappelait plus comment il était arrivé là. À en juger par les traces de sang sur sa main, il avait fait une, peut-être plusieurs victimes. La dague, comme à son habitude, avait bu tout le sang et affichait une lame étincelante. Sa soif s'était tarie. Satisfaite.

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant