9.2 : Code

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Avec sa dégaine aussi passe-partout que la dernière fois, le Fossoyeur ne payait pas de mine. Clara avait eu l'occasion d'en croiser beaucoup, pourtant celui-ci ne lui inspirait pas la même crainte. D'une certaine façon, c'était pire : il cachait tellement bien son jeu qu'il lui serait très facile de frapper par surprise. Par sécurité, Clara déploya autour de lui un grand nombre d'entraves invisibles pour leur permettre de gagner du temps au moindre danger.

— Nicolas... t'a expliqué pourquoi j'ai besoin de toi.

— En gros oui. Pour épauler le videur face aux Fossoyeurs, c'est ça ?

— C'est ça.

— Tu ne fais plus l'affaire ? demanda-t-il à Nicolas.

— Je... je ne suis plus un Fossoyeur, avoua-t-il.

David se raidit et son regard incrédule sauta de l'un à l'autre de ses interlocuteurs.

— Vous plaisantez ? Comment ?

Clara haussa les épaules.

— On ne sait pas vraiment. C'est arrivé à notre insu à tous les deux.

— Mais je pourrais peut-être...

— David, coupa Nicolas. Si j'en sais plus je te tiendrai au courant.

Il ravala la fin de sa phrase, son espoir étouffé dans l'œuf. Oui, lui aussi vivait mal sa nouvelle vie et espérait retrouver son humanité. Nicolas détourna les yeux de cet homme dans lequel il se retrouvait. À la place de David, il aurait remué ciel et terre pour trouver la solution.

Mais l'homme qui se tenait face à eux se contenta de serrer les poings et de prendre, petit à petit, une mine résignée.

— Donc... vous me proposez du travail.

— Moi, non. Clara, précisa Nicolas.

— Oui. C'est... un lot, ajouta Clara. Je rétablis ton identité, ta mort est effacée des registres et des mémoires de tes proches – il faudra me dire lesquels. Tu pourras de nouveau vivre normalement. Tu ne seras pas payé plus que le minimum autorisé, je n'ai pas les moyens de t'offrir plus... mais j'ai besoin de toi.

— C'est déjà... bien plus que je n'espérais.

Ses yeux ronds en attestaient. Nicolas s'accouda à la table.

— Et... les pulsions, tu y résistes ?

David se figea, manifestement mal à l'aise. Il adressa à Clara un regard suspicieux, incertain de pouvoir parler librement.

— Nicolas m'a expliqué ce que... ce qu'un Fossoyeur vit au quotidien. David, je suis prête à faire des efforts pour t'aider, mais si tu deviens trop dangereux, je ne te garderai pas. Je pourrai couvrir quelques-uns de tes faits et gestes si tu t'emportes, mais si tu tues quelqu'un, ne compte pas sur moi. Tu perdras aussitôt ta place ici et mon soutien.

— Quand on parle de tuer, dit-il. Les énergumènes bizarres qui traînent dans le quartier, ça compte ? Je parle pas des dealers et mafieux qui rôdent dans le coin... plutôt des p'tits nouveaux qui ne sont pas là pour profiter du paysage.

Il avait aperçu les monstres et reconnu leur nature inhumaine. Il poursuivit :

— Parce que... j'en ai surpris quelques-uns en action et je ne sais pas comment les stopper hormis en les tuant. L'un d'eux m'a déjà donné du fil à retordre.

— Tu t'es battu eux ?

— Un seul. Et il avait pris une apparence humaine. Il a essayé de me soutirer de l'argent, sauf que... je n'ai rien. Je crois qu'il n'a pas apprécié le fait que je n'aie pas peur de lui. Il s'est mis en colère et m'a attaqué gratuitement. Il s'est transformé en... je ne sais même pas exactement en quoi... J'ai à peine réussi à le blesser.

« Les créatures féériques sont résistantes par nature, l'informa l'Ange.

— Les « créatures féériques » ?

— Oui, les monstres en font partie. Comme la Murène qui t'a attaquée il y a quelque temps. Qu'elles soient plus nombreuses aux alentours de l'équinoxe est normal ; elles viennent participer aux célébrations humaines ou mener les leurs dans des lieux spécifiques où, parfois, les humains se sont établis. Cela dit, celles que nous avons croisées ne semblaient pas de passage...

— Qu'est-ce qui les rassemble à Clarme ?

— Je l'ignore. Il faudra y réfléchir, et peut-être recontacter la jeune Chasseuse pour avoir son avis sur la question. Elle est toute indiquée pour lutter contre eux. »

— On... on verra au cas par cas, reprit Clara. Je ne sais pas encore trop ce que ces créatures font là.

David sourit et s'adossa à sa chaise.

— Flic et videur, murmura David. Me voilà de nouveau dans un rôle de maintien de l'ordre.

— Flic ? releva Clara. Tu étais policier ?

— Tu ne le savais pas ? Je pensais que c'était pour ça que tu avais fait appel à moi.

— Tu ne me l'as pas dit, intervint Nicolas. Comment l'aurait-on su ?

— J'ai cru comprendre que madame avait plus d'un tour dans son sac.

— Je n'ai pas vraiment cherché. Je me fie au jugement de Nicolas et à ce que je vois. Mais c'est encore mieux si tu connais tes limites légales.

— Hum...

David lui paraissait aussi digne de confiance qu'un Fossoyeur pouvait l'être. Elle avait vu avec quelle vitesse Nicolas avait perdu les pédales, mais quand elle y repensait... entre son état de Fossoyeur, la dague qui l'influençait et tout le ressentiment qu'il gardait en lui, il avait fait preuve d'une endurance incroyable.

— J'essaierai de vous aider autant que possible.

Il fronça les sourcils.

— Je n'aime pas ce que je suis devenu.

Son regard noisette se planta dans celui de Clara.

— Si tu connais le moyen de m'abattre ou de me rendre mon humanité, ne me demande même pas mon avis. Je compte sur toi.

Clara frissonna. Il ne s'agissait pas d'une menace ni d'une mise à l'épreuve ; simplement de la froide résolution d'un homme ne supportant pas sa propre existence.

« Quand bien même j'aurais la solution, pourrais-je le tuer ? demanda-t-elle à l'Ange. Tuer est notre pêché.

— J'ignore ce qu'il en est des Fossoyeurs, avoua-t-il. Il te faudrait contacter l'Ancienne pour en avoir le cœur net. Les Fossoyeurs sont déjà morts, j'ignore si la punition serait appliquée.

Il marqua une courte pause puis ajouta :

— Quant au moyen de le tuer, tu le détiens déjà. Tu l'as scellé dans le jardin de tes parents. Que comptes-tu faire ?

L'évidence la frappa : la dague avait le pouvoir de détruire un Fossoyeur. Nicolas le lui avait confié. Un Maître Fossoyeur, cela restait à déterminer, mais un simple Fossoyeur comme David ne poserait a priori aucun problème. Devait-elle accéder à son vœu sur le champ, ou la jouer égoïste et profiter de l'aubaine ?

Clara craignait les conséquences. En utilisant cet instrument de mort, elle risquait de subir la même influence que Nicolas. Mais surtout, Clara ne se sentait pas le courage d'abréger ses souffrances.

— Même s'il souhaite la mort, je ne veux pas le tuer, confia-t-elle à l'Ange. Pas tant qu'il ne représentera pas une menace pour moi ou les autres.

Ses épaules s'affaissèrent.

— Je ne veux plus tuer. »

Elle se réinstalla sur son siège.

— Je ferai ce qu'il faut, et ce qui est en mon pouvoir.

Sa réponse sembla lui convenir ; il acquiesça.

— Marché conclu ? ajouta-t-elle.

— Marché conclu.

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant