L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)

5.1 : Rôdeurs

Joan travaillait pour un petit journal local. Un bon enquêteur, limité par le manque de personnalités et de scandales des environs, partagé entre le désir de monter à la capitale éprouver son talent et rester dans sa région de cœur. Son ennui l'avait poussé à étudier les faits divers et entamer un dossier sur la bonne samaritaine, sans entrain au départ. Puis le mystère entourant la bienfaitrice lui offrit un défi qui raviva ses instincts de journaliste et, très vite, il se prit de passion pour l'affaire. Sur son temps libre, il avait lancé un appel à témoins, auquel Éric avait répondu. Au fil de leurs échanges, les deux hommes avaient sympathisé. En se manifestant, Éric avait donné une forme de légitimité à son enquête et assuré au journaliste que son sujet n'intéressait pas que lui.

Cependant, Éric avait gardé pour lui la majeure partie de ses conclusions, et s'était contenté de récupérer un maximum d'informations. Cela dit, Joan s'était montré prudent et lui avait proposé une rencontre physique pour discuter de ce cas atypique. Un repas simple dans une petite brasserie ; il escomptait probablement sur l'alcool pour délier les langues.

Pour l'heure, Éric devait avant tout le rejoindre... mais il commençait à douter de leur ponctualité. Selon ses calculs, ils auraient pu arriver à l'heure si la pluie avait cessé de marteler le pare-brise et ne l'avait obligé à réduire sa vitesse. Le manque de visibilité l'épuisait et, couplé à sa sensibilité oculaire, commençait à lui provoquer des maux de tête. À côté de lui, Nicolas s'était assoupi. Ils se relayaient depuis leur départ et Nicolas mettait à profit sa pause pour récupérer.

Un accident en amont avait considérablement ralenti le trafic. Il apercevait au loin les gyrophares bleus et orange des équipes de secours et de remorquage. Éric les observait sans les voir, plus intrigué par l'homme assis à côté de lui. Il se demandait ce qui l'avait poussé à embarquer un individu aussi taciturne et qu'en plus, il ne connaissait pas. Décidément, il perdait la tête. Même lui ne comprenait plus les raisons de ses actes ! À présent seul avec Nicolas dans ce petit habitacle, à deux doigts – ou plutôt deux heures, il l'espérait – de remettre la main sur Clara, il trouvait cette idée idiote. À n'en pas douter, Éric aurait droit à une engueulade en bonne et due forme sitôt qu'elle apercevrait la cause de sa fuite. Mais il comptait bien ne pas se laisser faire sans riposter, voire prendre les devants et lui faire son sermon le premier !

Mais avec Nicolas sur les talons ?

Il grommela. La route se dégageait. La voiture dépassa deux véhicules légèrement abîmés et à en croire les trois personnes à proximité de l'ambulance, il ne semblait y avoir que des blessés légers.

Le regard de nouveau rivé à cette morne et interminable autoroute éblouissante de feux arrière rouges, Éric laissa ses pensées le guider à nouveau vers Nicolas et sa présence. Il se rappela que, sur le moment, ne pas le laisser seul l'avait frappé comme une évidence. De là à l'entraîner dans ses investigations...

Vu sa tête l'autre jour, il aurait fait une connerie.

Il soupira. Après tout, bénéficier d'un copilote lui avait évité des pauses fréquentes pour se reposer. Sans lui, il aurait sans doute fait le trajet en deux jours. Dans un grognement affirmatif, il se persuada du bienfondé de sa décision puis se concentra sur sa conduite et pressa l'accélérateur dans l'espoir de récupérer une partie du temps perdu. Leur lieu de rendez-vous approchait, son calvaire touchait à sa fin.

Cette journée et le match de la veille avaient été l'occasion pour lui de gommer une grosse partie du portrait que les remarques de Boris et Gilles avaient dressé dans son esprit. Les deux employés du bar lui avait dépeint quelqu'un de si dangereux et imprévisible qu'il ne comprenait pas d'où leur était venue cette impression. Certes, il ne comptait pas sur Nicolas pour mettre l'ambiance, mais il n'était pas aussi désagréable que prévu. En plus, ils supportaient la même équipe de rugby, ça ne pouvait donc pas faire de lui un si mauvais bougre.