3.3 : Destin

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Sans plus de réflexion, elle suivit le trottoir et les flaques de lumière. À la première intersection, elle trébucha sur quelque chose. Des grommellements s'élevèrent aussitôt : elle venait de heurter un homme enveloppé dans des couvertures, à demi endormi sur des cartons. Elle s'arrêta et s'excusa mais il ignora sa présence, sans doute persuadé qu'elle ne s'attarderait pas sur sa personne.

Après une brève hésitation, elle s'accroupit à côté de lui et posa une main sur ce qu'elle devinait être son épaule. Ce simple contact offrit à son empathie un lien direct ; elle se réveilla avec une force insoupçonnée. Il était glacé, courbatu, épuisé, affamé, désespéré. Saisie par l'imprévisible assaut de ces perceptions, plusieurs secondes lui furent nécessaires pour reprendre pied dans la réalité et dresser une barrière entre ses sensations et les siennes propres. Face à elle, l'homme s'était assis. Il lui adressait un regard curieux et méfiant. Sous sa barbe emmêlée, elle devinait un visage à peine plus ridé que le sien.

— Qu'est-ce que vous voulez ?

— M'excuser. Et... et vous aider, si je le peux.

Il lui adressa un regard incrédule, puis souffla sur ses mains. D'un filet de magie, Clara réchauffa progressivement son corps et en calma les douleurs.

— Vous avez de l'argent pour moi ?

— Oui... mais j'aimerais mieux vous aider vraiment... comment vous êtes-vous retrouvé là ?

La question, franche et directe, le prit au dépourvu. Il dévisagea Clara avec stupeur, puis secoua la tête.

— Il ne m'est rien arrivé de bien, c'est tout.

— J'imagine...

— C'est la première fois que vous venez, vous.

— Oui... j'en conclus que tout le monde vous connaît ici ?

— Ouais.

— Et ils vous laissent là ?

Il renifla, entre dépit et résignation.

— Ouais. Y'en a certains qui sont généreux... et les autres, juste assez pour que je ne meure pas de faim.

Il jeta au ciel un regard peu amène.

— Ni de froid. Enfin... je crois.

— Vous n'avez pas de famille ?

— Non.

Il soupira.

— Écoutez, laissez tomber, c'est pas la peine de faire semblant de vous intéresser à un clochard, je...

— Je ne fais pas semblant. S'il avait fait jour, je vous aurais invité à boire un café quelque part, mais à cette heure tout est fermé...

Elle fronça les sourcils, et choisit d'endormir la méfiance de son interlocuteur pour pouvoir utiliser sa magie sans l'inquiéter. Ce faisant, elle débloqua l'Ange, qui s'éveilla avec férocité. Avec honte, Clara reconnut qu'elle l'avait oublié.

« Tu n'es qu'une peste ! gronda-t-il.

— Pardon ?

— Ne t'avise plus de me faire le coup d'hier. Que tu n'apprécies pas ce que je te dis est une chose, mais que tu me le fasses payer te met en danger ! »

Elle se remémora leur conversation de la veille et sentit ses joues chauffer à nouveau.

« Aurais-tu préféré que je ne t'en touche pas un mot ?

— ... Non. Tu le sais bien.

— Ou bien... que j'intervienne juste au bon moment ?

— Non !

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant